Secteur tertiaire : plus de 80% de l’emploi

Le secteur tertiaire recouvre un vaste champ d’activités qui s’étend du commerce à l’administration, en passant par les transports, les activités financières et immobilières, les services aux entreprises et services aux particuliers, l’éducation, la santé et l’action sociale. Il est composé du : (1) secteur tertiaire principalement marchand (commerce, transports, activités financières, services rendus aux entreprises, services rendus aux particuliers, hébergement-restauration, immobilier, information-communication) ; (2) secteur tertiaire principalement non-marchand (administration publique, enseignement, santé, action sociale). Le périmètre du secteur tertiaire est de fait défini par complémentarité avec les activités agricoles et industrielles (secteurs primaire et secondaire).

Mais comme son poids dans l’emploi total est de 80,7% en France, il regroupe des services traditionnels et des services modernes liés au numérique ou aux besoins essentiels comme la santé. D’où l’idée d’une  diversité tertiaire et parfois de certaines confusions.

Ainsi, en raison des progrès récents des technologies de l’information, les biens incorporels en sont venus à jouer un rôle majeur dans le fonctionnement et la croissance des économies développées et en développement. Ceux-ci doivent être définis et classés de manière appropriée et leur production et leur utilisation doivent être enregistrées dans les comptes nationaux d’une manière économiquement réaliste et analytiquement appropriée. Cependant, le concept d’un bien incorporel s’est avéré difficile et insaisissable et a posé des problèmes, notamment en raison d’une tendance de longue date à confondre les biens incorporels avec les services.

La «tertiairisation» de l’économie pose des problèmes statistiques, conceptuels et méthodologiques : les notions de volume, de qualité et de productivité du travail sont probablement à revoir dans le «secteur tertiaire moderne». L’objet des études futures sera aussi d’examiner si les trois critères d’homogénéité (une part croissante de l’emploi, une relative insensibilité aux crises économiques, et surtout un progrès technique faible), sont aujourd’hui respectés dans un ensemble aussi vaste.

 

The tertiary sector covers a wide range of activities, from trade to administration, transport, financial and real estate activities, business and personal services, education, health and social work. It is composed of : (1) mainly market tertiary (trade, transport, financial activities, business services, personal services, accommodation and food services, real estate, information and communication); (2) mainly non-market tertiary (public administration, education, health and social work). The perimeter of the tertiary sector is in fact defined by complementarity with agricultural and industrial activities (primary and secondary sectors).

However, since it accounts for 80,7% of total employment in France, it includes traditional services and modern services linked to digital technology or essential needs such as health. Hence the idea of tertiary diversity and sometimes of certain confusions.

Thus as a result of recent advances in information technology (IT), intangible goods have come to play a major role in the functioning and growth of both developed and developing economies. Intangible goods need to be appropriately defined and classified and their production and use need to be recorded in the national accounts in an economically realistic and analytically appropriate way. However, the concept of an intangible good has proved to be difficult and elusive and has caused problems, especially because of a long standing tendency to confuse intangibles with services.

The « tertiarisation » of the economy raises statistical, conceptual and methodological problems: the notions of volume, quality and productivity of work probably need to be reviewed in the « modern tertiary ». Future studies will also examine whether the three criteria of homogeneity (a growing share of employment, relative insensitivity to economic crises and, above all, low technical progress) are currently respected in such a vast group.

 

 

 

«Rien ne sera moins industriel que la civilisation née de la révolution industrielle.», Jean Fourastié, Le grand espoir du XXe siècle, 1949.

« On a toujours été tenté de classer les biens économiques en des groupes nettement définis, à l’égard desquels un certain nombre de propositions brèves et tranchantes puissent être exprimées. Mais il n’y a pas dans la réalité de division nette entre les choses qui sont et celles qui ne sont pas des capitaux, ni entre les choses nécessaires à la vie et celles qui ne le sont pas, ni encore entre un travail productif et celui qui ne l’est pas. » Alfred Marshall, Principes d’économie politique, Préface de la 1ère édition de juillet 1890

 

 

Sommaire

I – CROISSANCE ININTERROMPUE DE L’EMPLOI MAIS TRÈS DIVERSE DEPUIS UN SIÈCLE

II – LES SERVICES MARCHANDS SONT LE MOTEUR DE LA TERTIARISATION

III – UNE ADAPTATION DIFFICILE EN PÉRIODE DE CRISE

IV – LE PROGRÈS TECHNIQUE DANS LE SECTEUR TERTIAIRE

V – LA MESURE DE LA QUALITÉ DES SERVICES

VI – LES COEFFICIENTS TECHNIQUES DES SERVICES AUX ENTREPRISES : EFFET DE STRUCTURE ET EFFET-LIGNE

VII – VERS UNE ÉCONOMIE SERVICIELLE ?

VIII – L’APPROCHE PAR MÉTIERS : LA MAJORITÉ DES OUVRIERS TRAVAILLENT DANS LE SECTEUR TERTIAIRE

IX – LE SECTEUR TERTIAIRE MARCHAND EN EUROPE

X – LA HAUSSE RELATIVE DE L’EMPLOI TERTIAIRE SERA-T-ELLE INVERSÉE ?

 

 

 

Résumé

° La notion de secteur « tertiaire » est apparue voilà presque cent ans. À cette époque, traversée par la crise économique de 1929 et dans la foulée des révolutions industrielles, il paraissait utile de séparer l’économie en trois ensembles afin de mieux comprendre les évolutions de l’emploi. D’autant que ces trois ensembles représentaient des poids équivalents. L’activité économique était alors classée en trois secteurs : le primaire (l’exploitation des ressources naturelles), le secondaire (les activités industrielles), et le tertiaire (le reste, notamment les services).

 

 

1 – Comment définir le secteur tertiaire ?

° Une première définition du secteur tertiaire, négative ou résiduelle qualifiait de tertiaire toute activité qui n’était ni agricole ni industrielle [1] (les nombres entre crochet renvoient à la bibliographie en bas de page). En raison de la difficulté de trouver une définition satisfaisante des services, certains économistes se sont détournés du problème en soutenant que ceux-ci sont si vagues et si hétérogènes qu’ils ne peuvent pas être considérés comme des biens de consommation et qu’il est impossible de les définir de manière satisfaisante. Par exemple, S. Kuznets dans son livre Modern Economic Growth (1966), écrit que  « le secteur des services comprend une variété d’activités économiques. Elles ont une caractéristique fondamentale en commun : aucune de ces activités ne représente de manière significative la production de marchandises ; chacune d’entre elles fournit un produit qui est intangible et qui n’est pas difficilement matérialisable sous une forme durable et mesurable. Pour cette raison, et malgré l’ampleur du secteur des services, la mesure de sa production  est la plus sujette à l’erreur, et les données et connaissances sont trop rares pour permettre une analyse adéquate ». 

° Ce type de définition résiduelle des activités de services est négative et peu informative : elle ne donne aucune indication sur les caractéristiques des activités de services autres que le fait qu’elles ne produisent pas de marchandises (c’est-à-dire des biens tangibles). Cependant, les services sont devenus bien trop importants pour être écartés de la sorte : la caractéristique la plus frappante de la croissance économique récente, en particulier dans les pays développés, a été la croissance relativement rapide des activités de services. Définies de manière résiduelle, les branches tertiaires produisent plus de 75% du PIB total de certains pays. Un tel ensemble est source de diversité. Dans le même temps, en raison de la révolution des technologies de l’information, le secteur tertiaire a connu un essor considérable, en particulier les biens incorporels ou produits de la propriété intellectuelle (voir page Investissement incorporel pays).

° Les activités de services ne doivent donc pas être définies de manière résiduelle. En fait, le concept de base d’un service est relativement simple et bien compris par la plupart des gens. Par exemple, selon l’Oxford English Dictionary (OED), un service est généralement compris comme signifiant : l’action d’aider ou de faire un travail pour quelqu’un. Cette définition simple capture l’idée essentielle qui sous-tend le concept d’activité de service, à savoir qu’il s’agit d’une action impliquant deux personnes ou unités économiques, dont l’une travaille pour, ou aide, l’autre.

° Aussi la formulation négative devait être par la suite complétée par une définition moins sommaire, dont l’objet était de suggérer des critères d’homogénéité du «secteur  tertiaire ». Parmi ces derniers, trois ont souvent été avancés : une part croissante de l’emploi, une relative insensibilité aux crises économiques, et surtout un progrès technique faible [2]. Cette dernière caractéristique n’était sans doute pas applicable à tout le secteur tertiaire : les transports et certains commerces ont connu des gains de productivité de l’ordre de 2 à 3 % par an entre 1950 et 2000 . Jusqu’au milieu de la décennie 1980, on pouvait cependant admettre que la plupart des activités à faible progrès technique étaient des activités non industrielles et non agricoles.

° Dans l’entre-deux guerre, le besoin s’est ainsi fait sentir de mettre à part le commerce, les transports et les branches financières (banques, assurances) car ce sont d’abord ces activités qui ont accompagné les révolutions industrielles depuis le XIX ème siècle en Euope comme en Amérique.

° Puis avec l’interventionnisme de l’État d’après guerre, les économistes se sont intéressés aux services publics et donc à la nécessité d’en mesurer la production en comptabilité nationale (CN). Pendant longtemps on ne l’a pas fait, considérant ces services comme non productifs parce que non vendus sur le marché : comment alors mesurer la production ?

° Enfin les nomenclatures s’efforcent de distinguer les services aux entreprises et ceux aux ménages pour être en cohérence avec la comptabilité nationale qui distingue les consommations intermédiaires (CI) et la consommation finale des ménages (CFM). D’autant qu’à l’aune des années 90, on s’est tourné vers les chaînes de valeur mondiales et au rôle participatif des services aux entreprises. Ainsi ces distinctions sont devenues pertinentes.

° On aboutit ainsi à une seconde définition moins homogène issue de la nomenclature d’activité économique de 1959 qui distingue 3 voire 4 grandes activités tertiaires dans son niveau le plus agrégé : transports, commerces-banques-assurances, services (marchands), services publics-administrations-armée. Le tableau suivant est issu des recensements de 1954 et 1962, donc avec des chiffres qui ne sont pas ceux de la comptabilité nationale (voir ci-dessous). Il est décomposé en sous-activités, notamment pour les services entre ceux rendus aux entreprises, ceux rendus aux particuliers et les services domestiques.

Population active ayant un emploi par catégorie d’activités économiques (1) (France entière)

 

° Mais l’explosion des services aux entreprises à partir de la décennie soixante puis des services liés à l’information (logiciels, télécommunications) avec des gains de productivité supérieurs à ceux de l’industrie va de nouveau rendre caduques ces typologies : les grandes entreprises du numérique de la Silicone Valley n’ont pas grand chose à voir avec la coiffeuse de Los Angeles ou le chauffeur de taxi de New-York en terme de productivité du travail et de capital investi dans l’économie.

° Ainsi des centres de données regroupent un très grand nombre d’ordinateurs (serveurs), afin d’une part de stocker des données désormais mesurées en millions de milliards (petaoctets), et, d’autre part, d’améliorer la performance d’exécution pour une même tâche en répartissant les calculs sur plusieurs machines. Ces usines informatiques, dont la taille dépasse celle d’un stade de football, nécessitent des investissements compris entre 200 et 500 millions de dollars. Afin de stocker et gérer ces nombreuses applications et services, l’entreprise Google dispose ainsi d’une cinquantaine de fermes de serveurs dans le monde entier, aux États-Unis mais également en Europe, en Belgique et en France. Cette nouvelle forme d’industrie est grosse consommatrice d’énergie. On reviendra sur ce « mélange des genres » entre l’industrie et les services.

 

 

 

2 – Le commerce, les transports et les services financiers

° Ce sont des activités tertiaires à part. À la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème siècle, elles prennent leur essor. Mais leur distinction s’est aussi affirmée au fil du temps à partir des évolutions de la  comptabilité nationale : leur production est souvent estimée comme une marge (marge de commerce, service intermédiaire financier indirectement mesuré pour les banques, primes brutes moins indemnités dans les assurances).

° Dans le système des comptes nationaux de l’ONU (SCN), la production d’un bien est évaluée aux prix de base. Celui-ci est le montant que le producteur reçoit de l’acheteur par unité de bien ou de service produite, diminué des impôts sur les produits et augmenté des subventions sur les produits. Outre ceux-ci, le prix de base exclut les frais de transport de marchandises, facturés séparément mais surtout les marges de commerce.

° Pour passer des tableaux des ressources aux prix de base à des tableaux aux prix d’acquisition (voir page Tableau ressources emplois), il faut notamment rajouter à la production des biens, les marges commerciales (page Marges de commerce) et les marges de transport (page Marges de transport).

° Selon le SCN, La production des grossistes et détaillants est mesurée par les marges commerciales qu’ils réalisent sur les biens qu’ils achètent à des fins de revente. La  marge commerciale représente la différence entre le prix de vente effectif ou imputé d’un bien acheté pour être revendu et le prix qui devrait être payé par le distributeur pour le remplacer au moment où il est vendu ou utilisé d’une autre façon.

° Les activités financières devaient être aussi mises à part représentant quasiment un secteur institutionnel de la comptabilité nationale. Les banques et les assurances font partie du secteur institutionnel des sociétés financières. Selon le Système européen des comptes nationaux (SEC 2010), le secteur des sociétés financières (S.12) est constitué des unités institutionnelles dotées de la personnalité juridique qui sont des producteurs marchands et dont l’activité principale consiste à produire des services financiers, soit à fournir des services d’intermédiation financière (intermédiaires financiers); et/ou à exercer des activités financières auxiliaires (voir page Sociétés financières).

° S’agissant des gains de productivité du travail non négligeables de l’ordre de +3% par an jusqu’en 2000 (plus que dans les services aux entreprises et aux ménages), il faut quand même rappeler que le partage volume-prix de la production est assez complexe sauf pour les transports et que la mesure de la valeur ajoutée en volume y est ainsi quelque peu délicate (voir page Mesure des volumes et des prix). Ceci pour dire que les évolutions de la productivité du travail y sont assez fragiles d’autant que le numérateur, la valeur ajoutée en volume, est obtenue par la méthode de la double déflation, c’est à dire comme solde entre deux grandeurs dont la production en volume  (voir page Partage Volume Prix).

 

 

 

 

 

3 – Services marchands et services non marchands,

° On distingue souvent les services marchands et les services non marchands (appelés aussi un peu abusivement services publics). En comptabilité nationale, une production est marchande si ses ventes représentent plus de 50% des coûts de production. Les services non marchands sont des activités dont la prise en charge ne peut être que collective car ils ne donnent pas lieu à une facturation individualisée des usagers. A l’inverse, les services marchands sont ceux qui peuvent être délivrés moyennant une facturation individualisée au bénéfice de l’usager.

° On trouve dans les pays de l’Union Européenne plusieurs catégories de fonctions collectives qui constituent le fonds commun du « service public ». Les principales sont :

  • Les fonctions régaliennes traditionnellement assurées par les États . Ce sont la défense, la justice, la police, l’action extérieure. Elles forment le cœur des services publics par excellence, même si certaines des composantes de ces missions peuvent être assurées par des entreprises privées (exemple : les prisons).
  • L’éducation (voir page Comptes satellites),
  • L’action sociale : elle ne peut être absente de l’exercice de la responsabilité politique des États modernes qui ont progressivement pris la place ou se sont ajoutés aux systèmes caritatifs traditionnels au cours du XXe siècle.
  • La santé en général est quasiment un service public (malgré l’existence de la médecine libérale).
  • Le sport et la culture : l’épanouissement du corps et de l’esprit humain nécessite, dans la quasi-totalité des pays, une prise en charge collective. Ces activités sont plutôt de type marchand, mais rarement équilibrées par des recettes d’exploitation.

 

° La répartition de la production entre services marchands et services non marchands devient intéressante à suivre au sein du secteur tertiaire, notamment dans la santé, l’éducation, l’action sociale et tous les services susceptibles d’être vendus sur le marché par des entreprises ou par les administrations publiques fournis à titre plus ou moins gratuit. Qu’un office statistique soit en partie privatisé comme dans certains pays d’Europe, traduit une moindre importance de l’État. Mais déjà se profile un troisième agent en concurrence : les ménages à travers l’économie collaborative comme la location de logement via AirBnb.

° L’Insee définit des nomenclatures plus ou moins agrégées. La plus restrictive distingue les services principalement marchands et les services non principalement marchands (droite du tableau suivant). Par exemple la R&D est un service principalement marchand même si elle comprend une branche recherche non marchande mais dont la production est plus basse que celle de la recherche marchande. À l’inverse la santé est un service principalement non-marchand car la production de la santé non marchande (du fait des hôpitaux) est plus élevée que celle de la médecine libérale. Cette liste est utile car elle permet de voir les branches tertiaires à un niveau plus détaillé tout en conservant en partie la nomenclature agrégée du tableau précédent.

Branches tertiaires de l’Insee issues de la nomenclature d’activité française (NAF rév.2)

 

 

 

4 – Services aux entreprises et services aux ménages

° Cette distinction est apparue très utile d’abord avec la distinction CI/CFM en comptabilité nationale puis avec l’analyse du commerce extérieur à travers le  développement des chaînes de valeur mondiales au début des années 90. Les services échangés entre pays sont-ils consommés par des entreprises ou des ménages, ou même investis  (voir page chaînes de valeur mondiales) ?

° Selon l’Insee, les services rendus aux entreprises regroupent globalement les activités scientifiques et techniques les services administratifs et de soutien.  Ils sont détaillés dans la nomenclature d’activité française (NAF rév.2). (voir tableau ci-dessus). Les activités scientifiques et techniques requièrent un niveau de formation élevé et apportent aux utilisateurs des connaissances et compétences spécialisées, contrairement aux services administratifs et de soutien, qui n’ont pas pour objectif premier le transfert de connaissances spécialisées. L’Insee classant les services marchands en fonction de leur utilisateur principal, les services juridiques, les activités de contrôle, de location sont des services aux entreprises, même lorsqu’ils sont partiellement consommés par les particuliers.

° Eurostat a une vision plus large  : ce sont des activités réalisées par une entreprise pour une autre entreprise et / ou administration publique. Ils comprennent:

  • des services techniques comme l’ingénierie, l’architecture et les études techniques;
  • des services informatiques tels que la conception de logiciels et la gestion de base de données;
  • d’ autres services professionnels comme les services juridiques, la comptabilité, les services de conseil et de gestion.

° Le tertiaire productif correspondrait aux activités de services destinés aux entreprises qui produisent des biens consommés majoritairement dans un territoire. Beaucoup de ces services pourraient être réalisés en interne par l’entreprise elle-même, mais l’achat (externalisation) auprès de fournisseurs de services permet à l’entreprise de se concentrer sur ses activités essentielles et de tirer avantage de la spécialisation offerte par les fournisseurs de services. Ainsi, un secteur des services aux entreprises efficace et prospère peut contribuer à la compétitivité globale de l’économie.

° Entre 1960 et 2000, on observe un recours accru aux services aux entreprises (externalisation) : le coefficient technique de ces services (rapport entre la consommation intermédiaire d’un service par une branche à la production de cette branche) explose surtout dans l’industrie. Autant les services aux entreprises ont connu une forte expansion jusqu’à la crise de 2009, autant les services traditionnels aux ménages progressent modérément. Tout oppose ces deux catégories de services sauf des gains de productivité du travail assez modestes du moins jusqu’à présent.

° Les services aux ménages se caractérisent, eux, par la mise à disposition d’une prestation technique ou intellectuelle principalement à destination des particuliers, même si certains d’entre eux concernent également les entreprises. Ici encore, l’Insee classant les services marchands en fonction de leur utilisateur principal, la blanchisserie ou la réparation sont des services aux particuliers, même lorsqu’ils sont partiellement consommés par les entreprises.

° Si les ménages consomment une part croissante de services, c’est vrai en valeur mais un peu moins en volume. Toutefois le coefficient budgétaire des services (consommation de services / consommation totale)  en volume a quand même augmenté de plus de 8 points en 2020 par rapport à 1975. On étudie ces évolutions dans la  page Consommation des ménages.

 

 

 

 

 

 

5 – Services et biens incorporels

° Avec l’explosion du numérique depuis le XXI ème siècle, cette dernière distinction prend toute son importance.  Il est courant pour les économistes de décrire depuis deux siècles les services comme étant des biens intangibles ou incorporels alors qu’ils n’ont rien en commun selon Peter Hill [1]. Cependant, les biens incorporels et les services sont devenus beaucoup trop importants dans les économies modernes pour être systématiquement mal classés. La définition résiduelle, dépassée, devrait être remplacée par une taxonomie dans laquelle trois catégories principales de produits sont définies, à savoir :

  • les biens matériels,
  • les biens incorporels
  • les services.

° Les biens incorporels et les services doivent être clairement différenciés l’un de l’autre dans les comptes économiques et l’économie en général. En raison de la confusion traditionnelle entre les services et les biens incorporels, la croissance rapide des biens incorporels est souvent considérée comme contribuant à la croissance de la production de services, alors qu’elle contribue d’abord à la croissance de la production de biens.

° L’échangeabilité est la caractéristique essentielle d’un bien économique. Elle implique non seulement que les biens économiques doivent être des entités sur lesquelles il est possible d’établir des droits de propriété, mais aussi que ces droits peuvent être échangés entre différentes unités institutionnelles. Dans le cas contraire, ils ne pourraient pas être échangés sur les marchés et ne présenteraient qu’un intérêt limité pour l’analyse économique. Pour être échangeable, un bien doit exister indépendamment de son propriétaire. La « séparabilité » d’un bien par rapport à son propriétaire est une autre caractéristique clé d’un bien, qui peut sembler évidente pour un bien tangible, mais qui peut ne pas l’être pour certains types de biens incorporels.

° Bien corporel : Le SCN adopte une définition plus restrictive d’un bien en exigeant que tous les biens soient corporels. Le paragraphe 6.15 du SCN 2008 définit les biens comme suit : Les biens sont des objets physiques produits pour lesquels il existe une demande, sur lesquels des droits de propriété peuvent être établis et dont la propriété peut être transférée d’une unité institutionnelle à une autre par le biais de transactions sur les marchés. Mais restreindre les biens aux objets physiques signifie que les biens incorporels risquent d’être classés de manière résiduelle dans les services.

° Bien incorporel : C’est un concept plus subtil et complexe qui n’est pas facile à définir. Un bien incorporel (Robert Boyer parle de biens informationnels) serait une entité abstraite qui peut être utilisée à des fins de production ou de consommation, telle qu’une information, une idée, un plan ou une instruction, qui est le produit d’un processus d’activité intellectuelle créative ou innovante. « Il doit être possible d’établir le droit de propriété sur l’entité qui doit être enregistrée et conservée sous une forme qui permette qu’elle puisse être facilement retrouvée par son propriétaire et de la communiquer à d’autres personnes ou unités ». Un bien incorporel est un bien qui n’est pas tangible, c’est-à-dire qui ne peut être touché, contrairement à un bien physique. Les données informatiques (fichiers, enregistrements de base de données, mémoire électronique) comme un morceau de musique, une photo ou un article vu sur écran sont des exemples de biens incorporels. Dans notre monde fortement numérique, les biens incorporels jouent un rôle de plus en plus important dans l’économie. Tout contenu qui peut être enregistré sur Internet peut être considéré comme un bien incorporel.

° La part de l’investissement incorporel (Logiciels, R&D, bases de données, etc…), y compris celui qui n’est pas repris dans les comptes nationaux (formation professionnelle, publicité,..) ne cesse de croître : elle représenterait 36 % de l’investissement total en France (Investissement incorporel pays). Parallèlement, les nouvelles technologies de l’information ont pénétré en force dans les services, au point que la notion de « société de services » est aujourd’hui refusée par certains, au bénéfice de la notion de «société informationnelle».

 

 

 

 

6 – La délicate mesure de la productivité du travail et de la qualité des services

° Tertiaire insaisissable ? Le fait même de poser cette interrogation indique les problèmes conceptuels d’aujourd’hui : la classification en trois secteurs est contemporaine de l’époque où se dessinait une méthode homogène de représentation des évolutions économiques, la comptabilité nationale. Comparer les croissances sectorielles du volume de la production et de l’emploi obligeait de classer chaque activité dans l’un des trois ensembles [3]. Et, si l’on admettait que la notion de « volume » (quantité physique à qualité donnée pour les biens) n’était pas toujours conceptuellement bien définie pour quelques services, cela ne remettait pas en question les principales descriptions de l’économie. Ces services restaient minoritaires au sein du secteur tertiaire. De plus, le secteur tertiaire, certes déjà divers, était assez bien délimité par rapport à l’industrie, les métiers tertiaires ne s’exerçant la plupart du temps que dans les branches tertiaires et réciproquement pour l’industrie.

° L’objet de cette page sera aussi d’examiner si les trois critères d’homogénéité du secteur tertiaire sont aujourd’hui respectés dans un ensemble qui comprend 80,7 % de la population active française en 2021. La question est intéressante à plusieurs titres : la croissance forte de l’emploi tertiaire durant ces dernières décennies n’est-elle pas source de diversité et de complexité ? La « tertiarisation » de l’économie ne pose-t-elle pas des problèmes statistiques, conceptuels et méthodologiques : les notions de volume et de productivité du travail ont-elles ainsi un sens dans le secteur tertiaire « moderne » ? S. Kuznets avait sans aucun doute raison de dire que de nombreux services posent de formidables problèmes de mesure.

 

 

a) Productivité et efficacité des services

° On va suivre les gains de la productivité du travail en France et dans les autres pays mais on ne peut s’empêcher de reprendre les travaux de Jean Gadrey sur ces questions [4]. À travers plusieurs exemples, il est possible de comprendre ce qui se passe. D’abord la valeur ajoutée (VA) en volume est très fragile. On ne le dira jamais assez car c’est un solde entre la production en volume et les consommations intermédiaires (CI) en volume.

° Or la production en valeur est souvent approximative dans les activités tertiaires (banques, assurances, commerces, administration) et à fortiori en volume. En effet, il y a plusieurs méthodes du partage volume-prix pour les marges commerciales ou les services des télécommunications selon les pays. Que dire des hôpitaux où la méthode « output » de calcul de la production en volume, fondée à partir de 600 actes médicaux, conduisait au début des années 2000 à une baisse de la productivité du travail et à une faible croissance après, du fait de la quasi absence de  l’effet-qualité. En outre on oublie que la méthode « output » de la production en volume  des hôpitaux ne prend pas vraiment en compte la production des 30% des effectifs ayant un métier administratif.

° Ces exemples introduisent de sérieux doute vis-à-vis de la faible croissance de la productivité du travail dans les services modernes.  Ils conduisent à se demander si ce concept y a un sens au contraire de l’industrie où la production de masse a été pendant longtemps standardisée  et peu diversifiée et où il était possible d’analyser les performances dans un tel système.

 

° Ensuite les comptables nationaux disposent rarement d’une nomenclature de produits permettant de bâtir des indicateurs techniques directs de volume produit. Derrière tous ces services, il y a des produits : transactions, crédits, polices, sinistres traités, opérations, dossiers achevés, soins hospitaliers, logiciels mis en place, etc… Il a été ainsi montré que l’output en volume des banques pouvait varier du simple au triple aux États-Unis entre un indicateur prenant en compte les opérations réalisées et la production des comptes nationaux. De même en France, un indicateur technique tel que le nombre de comptes gérés, de chèques traités, aboutissait à une croissance beaucoup plus forte que la production en volume de cette branche. On a observé un phénomène analogue dans les assurances.

° En effet toute la question est de considérer le produit « réel »  des activités de services : le produit réel des banques désigne il plutôt le volume des opérations techniques pour le compte des clients ? Ou bien la valeur ajoutée bancaire, elle-même calculée à partir de la production estimée surtout via le SIFIM (service d’intermédiation financière indirectement mesuré), calculé pour simplifier par la différence entre les taux d’intérêt des banques sur leurs prêts et ceux sur leurs dépôts multiplié par les encours de ces crédits et dépôts ? Le produit de l’assurance dommage désigne-t-il la valeur ajoutée des compagnies calculée à partir de la production (primes brutes – indemnités + réserves techniques de placement, déflaté par un indice de prix plus ou moins approprié) moins les CI ? Ou bien le nombre de polices gérées ou de sinistres traités (en supposant qu’on puisse les répartir par catégories à peu près homogènes, à l’instar des biens industriels) ?

° À la rigueur, les transports et les communications se prêtent assez bien à des évaluations de la production en volume fondées sur des données techniques standardisées (on connaît les tonnes-km transportées pour les véhicules de plus de 3 tonnes et le prix à la tonne km par nomenclature NST de produits transportés).

 

 

b) Résultats pour l’usager

° À côté, il y a la question du résultat pour l’usager ou l’entreprise. Les services hospitaliers influent sur l’état de santé de la population ; la formation a des effets à moyen terme (succès scolaire) à long terme (insertion professionnelle). Or le résultat est encore moins susceptible d’être présenté comme un « produit » que le service immédiat. Il s’évalue selon de nombreux critères. Mais ce résultat est très important.

° Qu’en est il surtout du « résultat » des services ? Certes, il se serait amélioré dans les services aux entreprises ou les transports face à une demande accrue. Mais pour l’usager ?

  • Il y a d’abord la santé et l’éducation : certes une intervention chirurgicale est beaucoup plus performante aujourd’hui, un diagnostic plus sûr, etc… .  Mais le résultat s’est-t-il toujours amélioré dans les hôpitaux parisiens ou ruraux avec des files d’attente de plusieurs mois pour un simple rendez-vous ou des déserts médicaux? Ce résultat aurait-t-il vraiment progressé dans l’éducation ? La France n’est pas en tête du classement PISA de l’OCDE pour plusieurs matières qui évalue la connaissance des élèves et donc en partie la qualité de l’enseignement ou plus exactement le niveau des élèves. D’ailleurs la méthode « output » de partage volume-prix de ces services prend elle bien en compte cette amélioration de la qualité dans l’évolution du volume (voir page Mesure des volumes et des prix) ? Il y a là beaucoup de questions dont les réponses ne sont pas simples.
  • Il y a aussi les services administratifs: le développement des procédures dématérialisées pose la question de la déshumanisation du rapport des usagers aux services publics. «Il faut distinguer le traitement de masse, qui est satisfaisant, du traitement individuel. Beaucoup de concitoyens sont en attente d’un traitement humain de leurs dossiers. L’aveuglement informatique et l’absence de lieux d’écoute créent un traumatisme social». Une telle évolution des relations des usagers avec leurs services publics ou leurs administrations publiques (sans téléphone) devrait faire l’objet, à terme, d’une évaluation approfondie afin de pouvoir en apprécier l’ensemble des conséquences, notamment en ce qui concerne la perception des usagers sur l’efficacité de leurs services publics. Leur fermeture en zone urbaine et rurale les rend enfin plus difficiles d’accès.
  • Il y a ensuite les services privés (activités financières, assurances, téléphonie, …) Le remplissage des dossiers par internet sans entretien direct répond-t-il toujours aux attentes de l’usager lequel reste pendu au téléphone dans l’attente d’un conseiller et consacre de plus en plus de temps devant son écran pour faire un travail qui pourrait être effectué par les organismes professionnels.  Celui ci, quand il a un problème, ne se perd-il pas entre plusieurs services cloisonnés d’une même société (par exemple changement de ligne téléphonique) ?
  • Il y a enfin les services commerciaux : certaines entreprises comme Amazon avancent zéro défaut du produit et de la livraison dans leur publicité. C’est la revendication du client « de payer pour que ca marche ». Ainsi on vend de plus en plus de « systèmes » complexes associant parfois des biens et de services (abonnement téléphonique et smartphone), tels des contrats globaux de maintenance, des polices multirisques, en privilégiant le résultat plutôt que les moyens. Dans ces cas, on est très loin des notions traditionnels de « produit »  et de « gammes de produits ». Ainsi les résultats ne s’évaluent plu sur le même mode  que pour les volumes d’objets ‘ou les services standardisés.

 

° Bref la question est ainsi posée de savoir si la qualité des services s’est améliorée depuis 20 ans ? Pour la plupart des économistes, ceci ne fait aucun doute avec le progrès technique dont les exemples ne manquent pas grâce notamment à l’utilisation forcenée du numérique (page :  Économie numérique). S’agissant de la qualité de certains services pour l’usager, on ne peut qu’apporter des réponses nuancées, qui ne peuvent reposer  seulement sur les données de la comptabilité nationale, mais doivent s’appuyer sur différentes approches et surtout pour chaque service pris séparément (page PIB et bien-être).

 

 

c) L’emploi tertiaire va-t-il diminuer avec les nouvelles techniques du numérique ?

° L’intelligence artificielle (IA) fait référence aux systèmes qui utilisent des technologies telles que: extraction de texte, vision par ordinateur, reconnaissance vocale, génération de langage naturel, apprentissage automatique, apprentissage profond pour recueillir et/ou utiliser des données pour prédire, recommander ou décider, avec différents niveaux d’autonomie, la meilleure action pour atteindre des objectifs spécifiques. Les systèmes d’intelligence artificielle peuvent être purement basés sur des logiciels ou intégrés dans des appareils.

° L’IA touche tous les secteurs dont les activités du tertiaire. La robotisation n’est pas nouvelle puisque elle a déjà touché le monde industriel dans les années 1980 lors de la troisième révolution industrielle. Jusqu’à présent, ce sont plutôt les emplois les moins qualifiés qui avaient souffert et même disparu sous l’impact des grandes vagues d’innovations : le maréchal-ferrant avec l’automobile ou le loueur de DVD avec les plateformes de streaming comme Netflix.

° Aujourd’hui, ce sont les emplois dits intellectuels qui seraient menacés : Pas un métier ne semble  épargné. Légitimement on peut se demander si tel poste va être (en partie) robotisé et automatisé. Une nouvelle révolution serait en marche. Après la révolution mécanique, de masse, automatisée, on assiste à l’introduction des nouvelles technologies dans notre quotidien professionnel et personnel. Plus le salaire serait élevé plus la probabilité d’être remplacé par une IA serait forte. Bref on ne peut faire l’impasse sur cette question quand on étudie l’emploi dans le secteur tertiaire même si il s’agit de scénarios plutôt que d’évolutions réelles..

 

 

 

I – CROISSANCE ININTERROMPUE DE L’EMPLOI MAIS TRÈS DIVERSE DEPUIS UN SIÈCLE

 

1/ L’emploi tertiaire en France depuis 1906

Le secteur tertiaire comprend les activités du commerce, des transports et télécommunications, des organismes financiers et assurances, des services non marchands et des services marchands, reprenant la définition de Colin Clark. Ces derniers regroupent quatre sous-ensembles : la réparation et les activités immobilières, les hôtels, cafés, restaurants, les services rendus principalement aux entreprises et les services rendus principalement aux ménages dont la principale branche est la santé. Le détail de ces différentes composantes est repris dans le tableau suivant.

L’analyse de l’emploi du secteur tertiaire peut être présentée sous la forme d’un triptyque : d’abord les facteurs de développement de l’emploi tertiaire, puis la diversité des évolutions, enfin l’intégration croissante des emplois tertiaires et industriels.

Après s’être développé jusqu’en 1960 selon un rythme annuel moyen de 1 %, l’emploi du secteur tertiaire progresse très vivement de 1960 à 1980 (+2 % par an), puis encore assez fortement de 1980 à 2000 (+1,7 %). Il ralentit ensuite entre 2000 et 2011 (+0,9 %), avec une quasi stagnation de 2008 à 2011, voire même une légère baisse dans certains services traditionnels aux ménages ou les télécommunications. Ceci est le résultat de deux tendances  : une accélération de la croissance de la demande intérieure (+4,3 % par an en volume entre 1959 et 2012) ; des gains de productivité du travail plus faibles que dans le reste de l’économie (+2,5 % par an dans les services marchands contre +4,5 % dans l’industrie). Face à une demande croissante, un secteur dont la productivité progresse relativement plus lentement ne peut que se développer en terme d’emploi. Depuis le début du siècle dernier, le progrès technique a toujours été plus faible dans le tertiaire que dans les autres secteurs. Expliquer « l’explosion » récente de l’emploi tertiaire revient à analyser les raisons de l’accélération de la demande en services.

L’emploi du secteur tertiaire représentait 30% de l’emploi en France au début du vingtième siècle. Il en représente aujourd’hui 80,7%. Mais sa part relative n’augmente quasiment plus depuis le milieu des années 2010.

Le tableau suivant présente des séries depuis plus d’un siècle jusqu’en 2021. On y distingue les services marchands  et le reste du secteur tertiaire (commerce, transport et activités financières plus les services principalement non marchands).

On rappelle que  les activités de santé et d’action sociale sont dans les services principalement non marchands bien qu’une partie de ces activités y soit marchande. Les activités d’information et de communication ainsi que l’hôtellerie-restauration, sont classées avec les services marchands.  On met à part le commerce, les transports et les activités financières comme dans le tableau du recensement du résumé.

Il y aurait beaucoup à dire sur ces données et compléter ce tableau par celui de la valeur ajoutée en valeur et en volume.

tableau-16-tertiaire-N

Population active du secteur tertiaire de 1906 à 2021 (en milliers d’effectifs)

 

 

 

 

2/ Les principaux facteurs de la tertiarisation depuis un siècle

En premier lieu, en France, l’industrialisation apparaît comme une condition nécessaire à la progression du secteur tertiaire. D’une part, la croissance matérielle provoque une élévation du niveau de vie ce qui permet à la demande de se diversifier. Les dépenses des ménages en services représentent 52 % de leur budget en 2016 contre 29 % en 1959. On a vu que cette hausse est presque imputable à une croissance plus rapide des prix des services. Il n’en demeure pas moins que, en volume, la consommation de services par les ménages a été multipliée par plus de 4 entre 1959 et 2012.

D’autre part, le développement d’une industrie impose souvent de nouvelles pratiques commerciales et fait apparaître des services en aval : en 2011, la branche de l’industrie automobile, par exemple, employait 131 000 personnes ; les effectifs des branches tertiaires liées à la production automobile (commerce et réparation de l’automobile, transports routiers, auto-écoles, locations de véhicules…) en représentaient environ dix fois plus.

En second lieu, la complexité du secteur tertiaire et l’augmentation de la taille des unités de production industrielle ont entraîné une spécialisation : les entreprises industrielles ou même les ménages qui réalisaient auparavant certaines tâches ne sont plus en mesure d’en maîtriser les conditions techniques et commerciales. Les entreprises de gestion d’immeuble se développent, reprenant à leur compte une activité souvent réalisée par les ménages, et ce, parce que le parc immobilier devient de plus en plus complexe à gérer. De même, l’ingénierie technique puis informatique nécessite parfois de gros moyens d’investigation qui ne peuvent se faire que par des entreprises spécialisées dans ce type de travaux. Le gardiennage et le nettoyage industriel deviennent affaire de professionnels. Les obligations légales ou réglementaires nécessitent plus de temps de travail pour transférer un patrimoine immobilier, plus de conseils juridiques pour aider à en comprendre les mécanismes.

En volume, le total des emplois intermédiaires et finaux de services d’études et conseils par les entreprises a ainsi été multiplié par 6,1 entre 1959 et 2012 contre 5,1 pour l’ensemble de l’économie.

Enfin, troisième facteur du développement de la demande tertiaire, la politique économique des gouvernements peut infléchir le profil de croissance de nombreuses activités tertiaires. Les pouvoirs publics déterminent directement une partie de l’emploi tertiaire, celui de la fonction publique. De plus, par ses choix dans de nombreux domaines tels la Sécurité sociale, les transports, l’éducation, l’État infléchit l’emploi dans la santé, la SNCF, l’enseignement public ou privé. Enfin, il intervient indirectement sur l’activité de nombreux secteurs tertiaires. Ce furent, autrefois, les réformes de 1966- 1967 du système bancaire qui, libéralisant le marché intérieur, facilitèrent l’expansion bancaire, les lois octroyant la possibilité aux membres des professions libérales de s’associer pour créer une société civile professionnelle qui met en commun des moyens techniques.

On peut citer aussi :

– Les différentes mesures de décentralisation adoptées depuis les lois Defferre de 1982 ont entraîné une augmentation significative des effectifs des collectivités territoriales dans leur ensemble.

– La cinquième semaine de congés payés accordée en 1982 et la réduction du temps de travail à 35 heures en 1999, couplées à l’augmentation du niveau de vie, ont augmenté la consommation de services de loisirs, en particulier ceux liés au tourisme.

– Les mesures d’ouverture des marchés des services à l’échelle internationale, promues par les différents gouvernements notamment au sein de l’OMC, ont impulsé les échanges extérieurs de services, qui se sont développés deux fois plus vite que les échanges de biens dans les deux dernières décennies.

– Dans le domaine de l’intérim, une loi basée sur l’accord national interprofessionnel du 24 mars 1990 limite à nouveau le recours aux contrats précaires et améliore la protection des salariés intérimaires. Depuis la loi de 1990, les effectifs d’intérimaires sont passés de 250 000 en 1990 à 650 000 à la veille de la crise de 2008-2009.

 

 

3/ Divers profils d’évolution de l’emploi du secteur tertiaire

Le secteur tertiaire peut être classé selon trois types d’évolution : les branches dans lesquelles l’emploi est en régression depuis plusieurs décennies, celles qui comprennent des activités dont le profil de croissance est relativement proche de celui de la plupart des branches industrielles, et enfin celles qui regroupent des services modernes, caractérisés par une croissance rapide, voire une « explosion » de l’emploi durant ces cinquante dernières années (graphique suivant).

Dans le premier ensemble, il convient de distinguer la SNCF dont la baisse des effectifs est liée à des gains concomitants de productivité et des transferts de trafic opérés entre le rail et la route, et les autres services (domestiques, réparations diverses, blanchisserie teinturerie) où la baisse de 99 l’emploi est liée à une diminution relative de la demande des ménages. Une croissance moindre des prix industriels, des comportements nouveaux de consommation et une obsolescence plus rapide de certains biens durables ont pu entraîner un effet de substitution des biens aux services.

Le second ensemble comprend deux groupes : la plupart des services traditionnels rendus principalement aux ménages et les activités tertiaires dont la fonction est de faciliter l’échange des biens industriels et agricoles. Le profil d’évolution de ces deux groupes se caractérise par une forte croissance au début du vingtième siècle, une quasi-stagnation de 1936 à 1954 et une reprise de la croissance durant les dernières décennies, mais à un rythme plus lent que lors de la première période.

Une première impulsion avait été donnée au début du siècle dernier, dans la foulée de la révolution industrielle. La multiplication des commerces, l’extension du réseau de chemin de fer sont deux exemples de la première grande phase de croissance du secteur tertiaire. Depuis la fin de la guerre, les fortes croissances industrielles et agricoles entraînent le développement de plusieurs services par un effet de complémentarité. La réparation automobile croît dans le sillage de la production des voitures particulières. La croissance industrielle entraîne celle du commerce de gros non alimentaire.

Un troisième groupe comprend des activités dont la croissance, encore relativement faible jusqu’au début des années soixante, a fortement progressé depuis. Les développements rapides durant ces quarante dernières années des services rendus principalement aux entreprises (tels les activités informatiques et les services d’information, l’ingénierie, l’expertise comptable, enfin l’intérim inclus dans les services), des transports routiers de marchandises, de la santé, de l’enseignement et des services de la fonction publique sont justifiés par la conjonction des trois facteurs : industrialisation au début, spécialisation, politique économique stimulatrice. L’activité de la plupart de ces services dépend de plus en plus des décisions et mutations des grandes organisations économiques (l’État, les entreprises, voire les pays étrangers) et de moins en moins du comportement des ménages.

Ces services s’intègrent dans un processus de production complexe, et contribuent souvent, comme l’ingénierie, à la croissance industrielle. Ce secteur tertiaire, souvent concentré dans de grandes unités de production, paraît très éloigné du premier ensemble que représentait bien le domestique ou du second dont le coiffeur était un exemple. Il possède des liens étroits avec l’industrie et l’État.

Dernière évolution significative, les services principalement marchands et non marchands progressent au même rythme entre 1949 et 2012 (base 100 en 1949). L’évolution des services non marchands est plus rapide jusqu’en 1995, puis un rattrapage des services marchands suit entre 1995 et 2002.

 

 

 

 

4/ La tertiairisation varie plus ou moins dans l’U.E. mais pas avec les mêmes services

Pour les comparaisons internationales, il ne faut plus s’intéresser seulement à la part de l’emploi du secteur tertiaire dans l’emploi global. Vu le poids de celui-ci, il faut suivre l’évolution respective de chaque branche tertiaire. On se limite à quelques conclusions en distinguant les effectifs puis les heures travaillées car les pourcentages ne sont pas les mêmes, le temps partiel étant relativement important dans le secteur tertiaire.

L’analyse en terme d’effectifs est dans une nomenclature assez agrégée. Elle est comparable au tableau précédent pour la France mais sur une période plus courte : 2000-2021. L’analyse en heures travaillées est plus détaillée. Elle permet par exemple de distinguer dans les services aux entreprises les différentes sous-activités.

Il faut aussi savoir que ces chiffres ne sont pas tout à fait comparables entre la France et les autres pays. Le TES est en branche « pure » en France. Il est en secteur d’activité ou branche d’activité « principale » ailleurs (voir page Tableau ressources emplois). Un secteur d’activité regroupe des entreprises ayant la même activité principale. Autrement dit, le poids  du secteur tertiaire est quelque peu gonflé en France puisque les branches tertiaires sont pures. Alors que dans les autres pays, une partie des effectifs des activités secondaires de services sont comptabilisées dans les autres secteurs d’activité, notamment dans l’industrie qui emploie  parfois 10% des effectifs de ce secteur. Cette comparabilité est toutefois possible pour les services principalement non marchands (administration, santé, éducation, action sociale) car cette branche se confond avec le secteur d’activité dans tous les pays.

 

a) Les effectifs du secteur tertiaire

La transition vers une économie de services est une tendance à long terme déjà observée dans l’UE dans la seconde moitié du XX e siècle. En 2021, l’emploi dans les services représentait 73 % de l’emploi total dans l’UE, contre 65 % en 2000, tandis que l’emploi dans l’industrie, y compris la construction, a diminué de 27 % en 2000 à 23 % en 2021 et que l’agriculture a diminué de moitié, passant de 9 % à 4 %. En ce qui concerne la valeur ajoutée, les services ont généré environ 73 % de la valeur ajoutée totale en 2021, l’industrie 26 % et l’agriculture 2 %.

Parmi les États membres, la part de l’emploi agricole en 2021 était la plus élevée en Bulgarie (16 % de l’emploi total), en Roumanie (13 %) et en Grèce (11 %), tandis que les parts les plus élevées de l’emploi industriel ont été observées en Tchéquie (36 % ), Roumanie (33 %), Slovaquie (31 %), Pologne et Slovénie (30 % chacune). Les activités de services représentaient plus de 80 % de l’emploi total aux Pays-Bas et à Malte (83 % chacun), en Belgique (82 %) ainsi qu’au Luxembourg, en France et au Danemark (81 % chacun).

La part du secteur tertiaire est supérieure du fait du temps partiel mais avec quelques différences entre les composantes du secteur tertiaire, notamment en France. La part des effectifs tertiaires dans l’ensemble est de presque 80,7% en France en 2021 (un peu moins de 80% en secteur d’activité). Elle est de 82,5% au Royaume Uni , le pourcentage étant le plus élevé aux Pays Bas (83,4%). Il est de 75% en Allemagne. En France, 29,5% des effectifs appartiennent à la branche des services principalement non marchands, (soit un des pourcentages les plus élevé d’Europe après toutefois les pays scandinaves), pourcentage qui lui est quasi comparable entre la France et l’étranger : ces branches ont souvent une seule activité.

La part de l’emploi dans le secteur tertiaire s’est stabilisé après 2015 dans de nombreux pays dont la France. Dans l’UE, la  part de l’emploi du secteur tertiaire croît surtout avant 2015 notamment avant la crise de 2009.

 

Les effectifs (en nombre de personnes employés) du secteur tertiaire dans l’UE en % du total

 

 

 

 

b) Les heures travaillées

Le poids du secteur tertiaire exprimé en heures travaillées est particulièrement élevée dans les pays du Nord de l’Europe (80% aux Pays Bas en 2018), au Royaume Uni (79,6%) et en France (78,4%). Les données de l’OCDE confirmeraient son importance aux États Unis. Ce poids est en revanche plus faible en Allemagne (71,9%), en Italie (70,7%) et dans l’ensemble de l’UE (70,3%) du fait même du poids plus faible du secteur tertiaire dans les pays de l’est de l’UE.

La France se singularise par un poids relativement faible de l’ensemble « commerce, transport, hébergement et restauration » (23,6%) contre 25,2% dans l’UE mais seulement 22,2% en Allemagne du fait d’un poids particulièrement bas des activités de commerce et d’hébergement-restauration. Ces deux activités expliquent aussi en partie le poids assez faible de l’ensemble « commerce, transport, hébergement et restauration ». Mais la France a rattrapé son retard dans le domaine de l’hébergement-restauration.

En revanche, le poids des services principalement non marchands (qui comprennent la santé et l’éducation qu’elles soient marchandes ou non marchandes) est bien plus élevé en France qu’ailleurs (26,3%) soit 5 points de plus que dans l’UE, et 24,2% en Allemagne dont la part a néanmoins gagné 3 points depuis 1995. On retrouve cette croissance relative dans la plupart des pays sauf en Italie mais de manière moins prononcée) alors que la part en France est restée stable. Il faut encore souligner que ces services ne sont pas que non marchands (les ventes financent moins de 50% de leurs coûts). Il reste que la part de ces services est plus élevée qu’ailleurs.

Quand on fait la différence entre la part des emplois administratifs et la somme des emplois de l’agriculture, l’industrie et la construction, l’écart est de 4,7%. Quelle différence avec plusieurs pays : UE -8,4%,  Allemagne -3,9%, Italie -14,1% ! Il n’ y a que les Pays Bas et le Royaume Uni, où l’écart est positif : respectivement 3,1% et 2,2%.

 

 

En regardant de plus près ce sont la santé mais surtout les services administratifs qui expliquent la part élevée en France. Des pays comme le Royaume Uni et l’Italie occupent une proportion presque 2 fois moindre qu’en France (8%) dans l’administration publique.

Par ailleurs avec 13% des heures travaillées dans la santé, la France se situe à peu près comme l’Allemagne (12,7% en Allemagne). Ces pourcentage sont de 12,5% aux Pays Bas et 11,2% au Royaume Uni mais seulement 7% en Italie et en Espagne. On insistera jamais assez pour dire que ce chiffre est global. Qu’il faudrait distinguer les médecins, les personnels soignants et administratifs. Mais comment ne pas être frappé par le fait que la santé occupe bien plus d’heures travaillées en France que toute l’industrie, phénomène qu’on retrouve certes aux Pays Bas et au Royaume Uni ?

On note aussi le pourcentage élevé des heures travaillées dans l’éducation au Royaume Uni (6,8%) contre 5,5% dans plusieurs pays dont la France.

Qu’en est il des services principalement aux entreprises dénommés dans les nomenclatures « Activités spécialisées, scientifiques et techniques; activités de services administratifs et de soutien » ? Dans cet ensemble, la France se singularise par une proportion plus élevée que dans l’UE (16% contre 12%). Le pourcentage est de 13,3% en Allemagne. Mais cette part est encore plus élevée au Royaume Uni (16,7%) et surtout aux Pays Bas (20%). On retrouvera ce phénomène dans l’étude des coefficients techniques. Car ce sont d’abord ces services que les entreprises de l’économie externalisent. Mais quand on regarde de plus près d’où vient cette part plus importante dans les 3 pays , on voit qu’elle provient d’abord des « Activités de services administratifs et de soutien » qui comprennent les services de location, très importants aux Pays Bas, et les activités liées à l’emploi (intérim) relativement développées en France et au Royaume Uni. Mais la part de la publicité est aussi élevée aux Pays Bas et au Royaume Uni. Tandis qu’on note le poids plus élevé en France des heures travaillées dans la R&D (1,6%) contre 0,5% dans la plupart des pays.

 

 

 

 

5/ l’analyse économique des services au fil du temps

Les économistes classiques ont considéré qu’il était nécessaire de déterminer quels types de produits devaient être considérés comme des biens et des services.

La réflexion actuelle sur la nature des biens et des services reste fortement influencée par les écrits de  économistes sur ce sujet. Mais il y eu un net renouveau avec la tertiairisation de l’économie et l’explosion du numérique. Les discussions ont été déclenchées par la célèbre et controversée distinction d’Adam Smith entre le travail productif et le travail improductif, qui a provoqué un long débat parmi les économistes classiques sur la question du travail productif, et sur la nature  des biens et des services et sur la définition de la frontière de production, qui s’est poursuivi tout au long du 19e siècle.

Ces discussions ont été influencées par les points de vue des des mercantilistes. Ils avaient tendance à attacher plus d’importance aux « stocks de richesse qu’aux flux » de revenus ou de production.

 

 

a) Adam Smith

Il convient de noter que l’ouvrage classique d’A. Smith s’intitule « Richesse des nations » et non « La production des nations ». A. Smith (1776) a défini les limites de la production en restreignant la production économique à la production de marchandises, une activité « productive » étant essentiellement une activité qui produit des résultats capables d’accroître le stock de richesse matérielle. Il écrit : « le travail du fabricant se fixe et se réalise dans un objet particulier ou une marchandise vendable, qui dure un certain temps  après que ce travail soit passé. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une certaine quantité de travail stockée et emmagasinée pour être employée, si nécessaire, à une autre occasion ».

« Le travail du serviteur subalterne, au contraire, ne se fixe pas et ne se réalise pas dans le temps. Il ne se fixe ni ne se réalise dans aucune matière particulière ou marchandise vendable. Le souverain, par exemple, avec tous les officiers de justice et de guerre qui lui sont subordonnés,  toute l’armée et la marine, sont des travailleurs improductifs. Leurs services, si honorables, si utiles ou si nécessaires qu’ils soient, ne produisent rien pour lequel une quantité égale de services puisse être obtenue par la suite. Dans la même classe doivent être rangés … les ecclésiastiques, les avocats, les médecins, les hommes de lettres de toutes sortes, les joueurs, les bouffons, les musiciens, les chanteurs d’opéra ». L’œuvre de chacun d’eux périt à l’instant même de sa production ».

Il convient de noter que Smith a utilisé le terme « marchandise » et non « bien ». Le terme « bien » n’est apparu qu’à la fin du 19e siècle. Les termes « productif » et « non productif » ne sont pas simplement des termes économiques techniques. Ils sont largement  utilisés dans le langage courant, où ils ont des connotations émotionnelles, une activité productive étant interprétée comme une activité souhaitable et utile, tandis qu’une activité improductive peut être interprétée comme triviale ou futile. À la même époque, F. Quesnay parlait du seul travail productif de la terre, notion encore plus restrictive que celle d’A. Smith.

L’affirmation de Smith selon laquelle les producteurs de services ne sont pas productifs pourrait donc être considérée comme quelque peu provocatrice.

 

 

 

b) Jean Baptiste Say

Elle a rapidement été contestée par J. B. Say dans son Traité d’économie politique où il prend l’exemple d’un médecin qui prescrit un remède et prend congé sans déposer aucun produit que l’invalide … puisse transférer à un tiers ou même garder pour sa consommation future. « L’activité du médecin a-t-elle été improductive ? Qui peut le supposer un instant ? La vie du patient a été sauvée peut-être. Ce produit était-il incapable de devenir objet de troc ? En aucun cas : les conseils du médecin ont été échangés contre des honoraires; mais le besoin de ce de ce conseil a cessé au moment où il a été donné.  l’acte de donner a été produit, celui d’entendre a été consomme, et la consommation et la production ont ete simultanées. C’est ce que j’appelle un produit immatériel ». C’est donc à J.B. Say qu’il revient de qualifier les services de « produits immatériels ».

Il a expliqué qu’il n’était pas à l’aise avec l’adjectif  « immatériel » mais qu’il n’avait pas trouvé de meilleure alternative ;  le fait que la consommation et la production d’un service sont simultanées  est une idée importante et influente qui est encore respectée aujourd’hui. Alors qu’un bien doit avoir été produit avant d’être livré à un consommateur, la consommation et la production d’un service sont simultanées. avant de pouvoir être livré à un consommateur; un service doit être  livré au fur et à mesure qu’il est produit. Toutefois, le consommateur peut continuer à bénéficier de la fourniture du service longtemps après qu’il a été fourni. Le patient. dans l’exemple de Say continue à bénéficier des conseils ou du traitement du médecin longtemps après qu’ils aient été donnés.  La plupart des services ne disparaissent pas dès qu’ils sont produits. Malgré l’affirmation contraire de Smith, certains services peuvent très bien « se fixer » dans une marchandise vendable ou dans une personne, selon la nature du service fourni.

 

 

 

c) John Stuart Mill

J. S. Mill, dans ses Principes d’économie politique (1848) reprend la distinction de A. Smith entre travail productif et travail improductif en soutenant que ce qui est produit n’est pas de l’utilité mais de la richesse. Il écrit : « Le travail productif signifie la production de richesses » : Il souligne que cela soulève une autre question : « à savoir ce qu’est la richesse et si elle consiste uniquement en des produits matériels. Il poursuit en affirmant qu’en principe, le capital humain devrait être inclus dans la richesse. L’habileté, l’énergie et la persévérance des artisans d’un pays font partie de sa richesse au même titre que ses outils et ses machines. Selon cette définition, nous devrions considérer comme productif tout travail qui est employé à la création d’utilités permanentes, qu’elles soient incarnée dans des êtres humains ou dans tout autre objet animé ou inanimé « .

Cependant, J.S. Mill a finalement rejeté cette définition plus large de la richesse parce qu’il pensait que l’inclusion du capital humain dans la richesse « créerait la confusion », car « la richesse est normalement comprise comme se référant uniquement aux produits matériels ». Il en conclut que : « lorsque je parle de richesse, je n’entends par là que ce que l’on appelle la richesse matérielle et par travail productif  que les types d’efforts qui produisent des des utilités incarnées dans des objets matériels ».

Ces citations de J.S. Mill illustrent une fois de plus à quel point les conclusions sur d’importantes questions de fond peuvent être affectées par la terminologie et le langage.

 

 

d) Nassau Senior

15 ans plus tard, N. Senior écrivait dans son ouvrage Political Economy (1863) : « Les produits  ont été divisés en matériels et immatériels , ou pour exprimer la même distinction en marchandises et en services ».

Cette distinction semble avoir été suggérée par la division bien connue du travail d’A. Smith en productif et improductif. Ceux qui pensaient que le principe de cette division était commode, sentant en même temps la difficulté de qualifier d’improductif le travail sans lequel tout autre travail serait inefficace, ont inventé le terme de services ou de produits immatériels pour en exprimer les résultats ».

Senior conclut ensuite comme suit : « Nous sommes prêts à parler de la distinction entre les services et les marchandises elles-mêmes, et d’appliquer le terme service à l’acte de provoquer une modification dans l’état existant des choses, et le terme marchandise a la chose modifiée, le terme produit incluant à la fois les marchandises et les services ».

La description par Senior d’une activité de service comme « l’action de provoquer une altération de l’état existant des choses ». est exactement la même que la définition d’un service « ayant un effet sur le changement » donnée aux paragraphes 6.17 et 6.18 du SCN 2008.

 

 

e) Alfred Marshall

Le dernier économiste à être pris en compte dans cette brève historique est A. Marshall. On remarquera que le terme « bien (good) » n’apparaît dans aucune des citations ci-dessus. A. Marshall semble avoir été l’économiste qui a proposé pour la première fois d’utiliser le terme « good » eu lieu de « commodity (produit) ». Le terme « service » était en fait bien ancré dans la littérature économique bien avant le terme « bien ».

Dans ses Principes d’économie, A. Marshall , écrit : « La richesse est un élément essentiel de l’économie., Toute la richesse est constituée de choses désirables, c’est-à-dire de choses qui satisfont directement ou indirectement les besoins humains, mais toutes les choses désirables ne sont pas considérées comme de la richesse.  En l’absence d’un terme court d’usage courant pour représenter toutes les choses désirables, ou les choses qui satisfont les besoins humains, nous pouvons utiliser le terme Biens à cette fin ».

Plus loin, Marshall affirme que lorsque l’on parle de la richesse d’un homme simplement et sans aucune clause d’interprétation, il faut considérer qu’il s’agit de son stock de deux catégories de biens. La première catégorie comprend les biens matériels sur lesquels (en vertu de la loi ou de la coutume) des droits de propriété sont donc transmissibles et échangeables. Les services et autres biens, qui disparaissent à l’instant même où ils apparaissent, ne font pas partie du stock de richesse….

Dans la deuxième classe, on trouve les biens immatériels, qui sont extérieurs et qui permettent d’acquérir des biens matériels. Cette utilisation du terme richesse est en harmonie avec l’usage dans la vie  ordinaire. Un peu plus loin, Marshall fait les observations suivantes sur les actifs incorporels ou les « éléments non matériels de la richesse« .

Ainsi, alors qu’au début du 19e siècle, J.B. Say classait à l’origine les services dans la catégorie des produits immatériels, à la fin du 19e siècle, A. Marshall a classé les « améliorations dans les arts de production », les « inventions mécaniques » et les compositions musicales parmi les actifs incorporels. De réels progrès ont été accomplis dans la distinction entre « biens incorporels et services ».

 

 

 

f) Les nouvelles définitions de services

Ainsi pour la plupart des économistes jusqu’au début des années 1960, un service périrait au moment de sa production. Mais  d’ une part nombre de services opèrent sur des biens qu’ils transforment matériellement (services de réparation, de restauration, médicaux) ou qu’ils déplacent (transport, commerce). D’autre part, leurs effets peuvent être durables. Enfin, même dans le cas des services  opérant sur  de l’information  ou des savoirs, (conseils, éducation), on peut estimer qu’ils ont des effets repérables de transformations de réalités informationnelles. Le fait que cette transformation n’aboutisse pas à la confection d’un bien matériel ne signifie pas que son résultat soit immatériel.

Aussi une définition plus complexe et plus utile a été proposée par Peter Hill.  Elle énonce qu’un service est « la transformation de la condition d’un individu, ou d’un bien appartenant à un agent économique, résultant de  l’activité d’un autre agent économique, à la demande ou avec l’agrément du premier agent ».  Cette approche a différents mérites. Elle distingue d’abord le service en tant que processus et le service en tant que résultat  (transformation de l’état d’une réalité donnée). Ensuite elle met en scène les agents économiques impliqués dans une relation de services à propos d’une réalité à transformer (le support de l’activité).

 

Sur cette base, Jean Gadrey a proposé une définition plus développée et plus précise « une activité de service est une opération, visant une transformation d’une réalité C possédée ou utilisée  par le consommateur (client ou usager) B, réalisée par un prestataire A à la demande de B, et souvent en relation avec lui, mais n’aboutissant pas à la production d’un bien susceptible de circuler indépendamment du support C (sinon on reviendrait à des situations de production de biens) ».

Cette définition laisse apparaitre la grande diversité des opérations  et des situations de services, en particulier en fonction du type de support C soumis à transformation, à savoir :

  • Des biens ou systèmes techniques détenus par B et dont le prestataire doit assurer la réparation, la maintenance, le transport, etc..
  • Des informations codées, standardisées que le prestataire a pour fonction de traiter, transférer ou gérer pour le compte de B (bases de données, opération bancaire,..)
  • L’individu B lui-même dans certaines de ses dimensions physiques, intellectuelles ou de localisation (coupe de cheveux, opération chirurgicale,..)
  • Des organisations dans leurs diverses dimensions que le prestataire a pour mission d’analyser et de transformer le plus souvent en relation avec B (traitement médical, service d’un avocat,…)

Le schéma suivant mentionne aux 3 côtés du « triangle des services », les relations réciproques entre les sommets et en particulier les relations sociales de services qui se nouent entre prestataires et usagers à propos de la transformation visée.

 

Définitions et typologie des services selon Jean Gadrey

L’économie des services, J. Gadrey, éditions Repères la découverte, 1992

 

 

 

 

 

II – LES SERVICES MARCHANDS SONT LE MOTEUR DE LA TERTIARISATION

Les services marchands non financiers correspondent au champ défini dans la nomenclature NAF rév. 2 par les sections hébergement et restauration (I), information et communication (J), activités immobilières (L), activités spécialisées, scientifiques et techniques (M), activités de services administratifs et de soutien (N), arts, spectacles et activités récréatives (R) et autres activités de services (S). Ils excluent les services non marchands de la recherche-développement, des arts, spectacles et des activités récréatives, sauf pour les statistiques d’emploi. Ce champ ne comprend donc pas le commerce (G), les transports (H) et les services financiers (K).

 

 

1/ La croissance relative de la valeur ajoutée et de l’emploi des services marchands

En 2017, la valeur ajoutée des services marchands (au sens strict) s’élève à 786 milliards d’euros. Elle représente 39 % de celle de l’ensemble des branches de l’économie, soit nettement plus que l’ensemble industrie construction y compris l’énergie (20 %) ou que l’ensemble commerce-transports-hébergement (18 %) (Graphique suivant). Cette part des services dans la valeur ajoutée totale a progressé continûment depuis 1978 (27%) jusqu’à la crise de 2008-2009.

Deux facteurs principaux ont contribué au développement des services depuis trente ans. En premier lieu, avec l’amélioration de leur niveau de vie, les ménages consomment une part toujours plus grande de services. Ainsi, la part des services marchands dans leur consommation est passée de 23 % en 1980 à 30 % en 2012 au détriment des produits manufacturés. De même, les entreprises achètent de plus en plus de services pour produire : ils représentent 31 % de leurs achats en 2012 contre 20 % en 1980. Ces achats correspondent soit à des fonctions externalisées (nettoyage, sécurité, location de matériel ou de main-d’oeuvre), soit à des fonctions dont l’importance croît (informatique, communication, recherche, publicité, contrôle de gestion, etc.).

 

En 2017, les services marchands emploient presque 7,8 millions de personnes (salariés et non-salariés) en équivalent temps plein (ETP), soit 27,9 % de l’emploi total (Graphique suivant). Sur près de quarante ans, leurs effectifs ont été multipliés par 2,25 (+4,3 millions), soit un accroissement de près de 80% de celui de l’emploi total. C’est dans les activités informatiques, classées dans l’ensemble information et communication, que le taux de croissance a été le plus élevé (+310 % entre 1978 et 2016, soit +390 000 ETP).

 

La croissance est aussi très forte dans les activités scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien (+180%). de fait, en termes de nombre d’emplois supplémentaires, ce sont ces services qui ont connu la plus forte augmentation avec 2,65 millions d’emplois nets créés, notamment dans les activités de services administratifs et de soutien, qui comprennent l’intérim (2 107 000 ETP en 2016 contre environ 695 000 en 1978). Dans une moindre mesure, on enregistre plus 900 milliers de créations nettes dans les activités scientifiques, juridiques et comptables et 650 milliers d’emplois dans les hôtels, cafés, restaurants sur la période.

Une étude de l’INSEE confirme que la part des activités de services administratifs et de soutien, dont l’intérim, et des activités scientifiques et techniques dans l’emploi des services marchands est passée d’un peu plus de 40 % en 1960 à 52 % en 2016 (Graphique suivant) . Mais en terme de valeur ajoutée la part des activités immobilières est très importante du fait des « loyers fictifs » (loyers que se versent les propriétaires de leur logement à eux-mêmes)

 

 

2/ Le commerce extérieur de services marchands en excédent

Entre 1980 et 2012, le commerce extérieur (hors tourisme, prise en compte dans la correction territoriale) des services marchands s’est développé au rythme de l’internationalisation de l’économie française.  De la seconde moitié des années quatre vingt- dix à la première moitié des années deux mille, l’excédent a été la règle. Sur trente ans, la structure par grands types de produits des exportations s’est sensiblement modifiée avec un accroissement de la part des services d’information et communication au détriment de celle des autres activités scientifiques. Celle des importations s’est un peu moins modifiée. Entre 2015 et 2017, les exportations et les importations de services ne progressent au même rythme (respectivement +2,5 % et +6 %).

 

Le solde du commerce extérieur reste stable. Le solde s’améliore de nouveau assez sensiblement à près de 14 milliards d’euros en 2016 et 13 milliards en 2017, retrouvant presque son niveau maximum des années 2011 et 2012. Il s’améliore nettement pour les activités spécialisées, scientifiques et techniques (+5,4 milliards d’euros), et dans une moindre mesure pour les activités informatiques et services d’information (+1,3 milliards d’euros) (Graphique suivant).

Notons toutefois qu’en 2017, les exportations de services représentaient de l’ordre de 7 % de la production de services et près de 16,6 % des exportations des biens manufacturés. De plus, le solde extérieur des échanges de services, bien que largement positif, ne compense absolument pas le solde déficitaire des échanges extérieurs de biens manufacturés (voir page échanges extérieurs).

 

 

 

 

 

 

III – UNE ADAPTATION DIFFICILE EN PÉRIODE DE CRISE

On étudie le profil d’évolution des services durant la crise du Covid dans la page Reprise économique fragile. Ici on s’intéresse à la crise de 2009. La relative autonomie de l’activité des services en période de récession économique a souvent été expliquée par le fait que la demande de services était en grande partie liée aux décisions des ménages dont les dépenses jouaient un rôle de stabilisateur en période de crise. Pour vérifier la validité de cette explication, on comparera avant et après 2007, début de la crise économique actuelle, les évolutions de la valeur ajoutée en volume des services et des deux principaux indicateurs de la demande relative qui leur est adressée : la part de la consommation intermédiaire de services dans la production effective des branches marchandes (coefficients techniques) ; la part de la consommation de services dans le total de la consommation des ménages (coefficients budgétaires).

 

 

1/  Les services liés à l’information et les services de santé échappent à la crise de 2009

Durant la décennie qui précède l’année 2007, l’évolution de la production des services se fait selon des schémas analogues à ceux de l’emploi : on peut distinguer des services à développement rapide, liés à l’économie (les services rendus aux entreprises, la réparation et le commerce de l’automobile), les services à développement lent, souvent destinés aux ménages (les hôtels, cafés, restaurants), et des services en régression (réparations diverses : services des cordonniers, d’horlogers…) [5] . La reprise de l’activité économique en France en 2010, à un rythme certes plus lent qu’avant la crise, incite à ne pas trop s’attarder sur la conjoncture des services marchands en 2009, année qui fut essentiellement défavorable aux services rendus aux entreprises. Les trois évolutions suivantes sur la période 2007-2017 paraissent plus significatives :

° le bon comportement, jusqu’en 2007, de nombreux services, la plupart destinés aux ménages ;

° la sensibilité à la crise d’une partie des services destinés aux entreprises ;

° la décélération progressive du rythme de croissance globale des services marchands depuis 2007 (Graphique suivant).

 

 

 

 

 

2/ Mais la sensibilité à la crise est plus forte que lors des précédents chocs pétroliers

Entre 2007 et 2018, la valeur ajoutée des services principalement marchands ralentit fortement : +1,4 % par an en volume, après +3 % entre 1995 et 2007. Mais celle des services principalement non marchand n’est pas du tout affectée : respectivement +1% contre +0,8%. La branche des services principalement marchands s’en sort certes mieux que l’industrie (-0,2% par an entre 2007 et 2018 contre +2,6% avant). C’est néanmoins sa plus faible performance depuis le début des années 2000. Au total, la VA des branches tertiaires passe d’un rythme de 2,3% à +1,3% après la crise.

On verra plus loin que ce ralentissement en comparaison de celui de l’industrie, est moindre que dans la plupart des autres pays. La crise a affecté les services mais moins que l’industrie alors que dans plusieurs pays la crise a presque autant affecté les services  que l’industrie, voire plus (Allemagne).

Les services d’information et de communication connaissent un net ralentissement de leur croissance même si les télécommunications restent l’activité la plus dynamique. Les services principalement orientés vers les ménages sont aussi affectés sauf les services de santé qui eux progressent plus fortement entre 2007 et 2018 (+2,2% par an) que de 1995 à 2007 (+1,2%). Dans les autres services principalement orientés vers les ménages (activités culturelles, autres services personnels, hébergement et restauration, activités immobilières), la valeur ajoutée stagne ou progresse faiblement sous l’effet d’une moindre croissance de la consommation, elle-même liée à la moindre progression du pouvoir d’achat.

Il convient donc de distinguer la santé, dont les facteurs de la demande sont assez particuliers, les services traditionnels et ceux qui sont en aval d’une filière industrielle, telle la réparation automobile. Que la crise ait peu affecté les services de santé ne paraît pas très surprenant : la demande, toujours très élevée, est relativement inélastique au prix et dépend plutôt des conditions de remboursement de la sécurité sociale et de la politique des pouvoirs publics en matière de santé. Jusqu’en 2011, ces deux éléments n’ont vraiment pas freiné la progression de la consommation de soins médicaux par les ménages, renforcée particulièrement par le vieillissement de la population

Plus surprenant a été le comportement moyen des services  de l’hôtellerie, de la restauration, les activités immobilières ou récréatives, les réparations diverses. De 1995 à 2017, la VA en volume des services d’Hébergement et restauration progresse de +1,4%, même progression que de 2007 à 2018. Cette évolution ne peut pas vraiment s’expliquer par la croissance annuelle moyenne du revenu disponible des ménages qui s’infléchit à peine à partir de 2000. On peut donc avancer plusieurs hypothèses : du côté de la demande, la hausse de la parité de l’euro par rapport aux autres monnaies mondiales a probablement incité les touristes à consommer modérément les services de vacances sur le territoire français.

 

 

Donc ce sont les services aux entreprises et les activités du commerce et des transports qui sont affectés par la crise de 2007-2009, mais aussi les services immobiliers et financiers et surtout les autres activités de services (-0,2% depuis 2007 contre ++2,1% entre 1995 et 2007).

 

La période 2007-2017 marque le repli des activités liées à l’emploi après plusieurs années de progression assez soutenues. La valeur ajoutée des activités de services administratifs et de soutien stagne à +0,4% en volume entre 2007 et 2017 (+3,2% entre 1995 et 2007), même si on observe une nette reprise à partir de 2013. Dans une conjoncture dégradée, les entreprises et les administrations compriment leurs dépenses, en particulier de fonctionnement. Ces restrictions pèsent sur les services administratifs et de soutien : leur valeur ajoutée représente 41 % de celle des services principalement orientés vers les entreprises (activités scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien). Le travail intérimaire constitue l’essentiel de cette activité. L’atonie de l’économie française observée entre 2007 et 2010 pèse sur l’emploi marchand et en premier lieu sur l’emploi intérimaire, qui est la première variable d’ajustement des entreprises. Ainsi, un retournement à la baisse des missions d’intérim s’opère depuis entre 2007 et 2014. À noter que l’emploi intérimaire est comptabilisé en totalité dans les services, indépendamment du secteur d’exercice des missions. En fait après une forte hausse avant 2000, le ratio « intérimaire / emplois des secteurs marchands » tend à se stabiliser depuis autour de 4% jusqu’en 2007 pour tomber à 2,9% en 2009 et se situer à 3,4% en 2014.

 

Par ailleurs, la croissance de la valeur ajoutée des activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques, ralentit sensiblement (+2,2 % entre 2007 et 2018 contre +4% entre 1995 et 2007), bien que ceux-ci semblent relativement mieux supporter le choc que l’industrie. Comme pour les services rendus aux ménages, les conditions de la demande ou les éléments de substitution qui avaient joué favorablement jusqu’en 2007, se retournent depuis.

Enfin l’activité commerciale est affectée : la VA du commerce augmente de +1,2% contre +2,5% avant 2007. On retrouve cette baisse de la croissance de moitié dans les activités  immobilières. Mais le choc est beaucoup plus fort pour les transports : +0,3% contre +3,9%.

 

En 2018, la valeur ajoutée des services marchands non financiers augmente quasiment au même rythme qu’en 2017 (+ 3,4 % après + 3,3 %) [6]. La production des services accélère (+ 4,0 % après + 3,4 %), tirée par les activités scientifiques et techniques et les activités immobilières. La demande en services marchands non financiers reste très allante en 2018, en dépit du ralentissement de l’économie. Les consommations intermédiaires en services sont dynamiques (+ 3,9 % après + 3,7 %) et les dépenses de consommation des ménages demeurent bien orientées (+ 2,3 % après + 2,2 %). Les exportations de services repartent à la hausse et le solde des échanges extérieurs augmente nettement. Seul l’investissement marque le pas après avoir bondi en 2017.

Les services aux entreprises sont ainsi le principal moteur de la croissance. La vitalité des activités spécialisées scientifiques et techniques s’accentue : leur valeur ajoutée progresse de 5,2 %, après + 4,5 % en 2017. La croissance des activités spécialisées, scientifiques et techniques s’accentue particulièrement dans le conseil, la recherche marchande, l’ingénierie et les activités juridiques et comptables. La production ralentit légèrement, tout en restant soutenue, dans l’information-communication (+ 5,1 % après + 5,5 %), les activités administratives et de soutien (+ 4,2 % après + 4,4 %)

 

En conclusion, le principal intérêt de cette analyse est de montrer que les mutations de l’environnement économique, notamment de l’industrie, affectent l’évolution des services marchands, en particulier des services aux entreprises. Certes, la croissance des services se poursuit, voire s’accélère comme en 2017 et 2018, quand la valeur ajoutée industrielle stagne entre 2007 et 2017. ce qui traduit le fait que les fluctuations de l’activité ont une amplitude moins forte dans les services que dans l’industrie et surtout le fait que certains services échappent en partie à la crise tels la santé et les services d’information (mais mêmes ces derniers sont affectés en 2013 et encore plus en 2009). De ce point de vue, le secteur tertiaire joue bien encore son rôle d’amortisseur. Dire qu’il est abrité des crises n’est cependant pas justifié. La décélération importante de la croissance des services marchands depuis 2007, mais aussi la sensibilité marquée de plusieurs services modernes liés à l’industrie en 2013, le montrent.

Il faut aussi étudier la croissance des services durant la crise de 2020. Certains (hors la santé et les services d’information) sont bien plus affectés que durant la crise de 2009 du fait des périodes de confinement à répétition (voir page Reprise économique fragile).

 

Ainsi, on ne retrouve pas tout à fait durant la crise de 2007-2012 les évolutions qu’on avait connues lors du premier choc pétrolier entre 1974 et 1980. À l’époque, la réduction de la durée du travail permettait aux ménages de consacrer un temps plus long à leurs loisirs. Des comportements nouveaux se développaient au milieu de la décennie 1970, telle la fréquentation accrue des restaurants par les ménages, la forte progression du nombre de divorces. De surcroît, la crise de 1974-1980 avait relancé l’activité de plusieurs professions : la croissance du nombre d’affaires civiles ou pénales stimulait l’activité des avocats ; l’activité des réparateurs se portait mieux dès lors qu’est accordée une préférence à la réparation d’un bien durable plutôt qu’à l’achat.

À ces déterminants de la demande, était venue s’adapter une politique de l’offre des entreprises, caractérisée par des innovations techniques ou des pratiques commerciales originales. La création des cafétérias dans les centres commerciaux, la modulation des tarifs de vacances en fonction de la saison, le développement de structures permettant de plaider des affaires pour un prix relativement faible, sont autant d’exemples de cet effort d’adaptation. Celui-ci était d’ailleurs d’autant mieux reconnu que la plupart de ces services sont difficilement substituables. À l’inverse, la croissance relative des services modernes rendus aux ménages avait été infléchie avec la crise : les coefficients budgétaires de la réparation et du commerce de l’automobile, par exemple, stagnent depuis 1974, leur activité s’effectuant en complément ou en réparation d’une production industrielle.

 

 

 

3/ Le secteur tertiaire est plus affecté à l’étranger du fait des services principalement non marchands et de la chute des activités financières dans plusieurs pays

On retrouve cette relative sensibilité à la crise dans les autres pays d’Europe mais plus prononcée dans certaines branches. Quand on compare la croissance de la VA tertiaire en France et en Europe après et avant la crise de 2007, la première observation est celle d’une sensibilité plus affirmée dans de nombreux pays.

Le cas le plus exemplaire est celui de l’Allemagne où la croissance de la VA tertiaire a baissé de 1% (+1,1% par an en volume entre 2007 et 2017 contre +2,1% entre 1995 et  2007) (premier graphique suivant) alors que la croissance de la VA de l’industrie ne perd que 0,7 point (second graphique suivant). De même au Royaume Uni : la croissance de la VA tertiaire perd plus de 2 points soit deux fois plus que la croissance de la VA de l’industrie, qui, il est vrai ,baisse entre 2007 et 2017. En France, en revanche, la crise de 2007 affecte surtout l’industrie : décélération de l’évolution de la VA industrielle en volume de plus de plus de 2,5 points après 2007 contre seulement -1% pour la VA tertiaire.

 

 

Il faut d’abord tenir compte des services principalement non marchands : leur croissance de la VA en volume n’est pas affectée en France : +0,9% par an avant 2007 et +1% après. Alors que dans l’UE, leur rythme de croissance passe de +1,5% avant 2007 à +0,9% après. Dans la santé, la croissance reste très forte au Royaume Uni après 2007. Mais elle est freinée en Espagne depuis 2010 ainsi qu’au Pays Bas, voire en Belgique et en Italie. Du coup, la croissance s’infléchit dans l’UE de +2,3% par an avant 2007 à +1,7% après. C’est le contraire en France où il y a accélération après 2007 : +1,3%  avant et +2,3% après. De plus cet ensemble représente 27,4% de la VA tertiaire en France contre 24,5% dans l’UE. Par un effet de structure, ceci influence le moindre ralentissement du secteur tertiaire global en France.

 

 

Un second bloc en Europe explique la meilleure résistance en France du secteur tertiaire. C’est celui des services financiers et d’assurance dont la croissance dans l’UE est quasi-nulle après 2007 : +0,1% par an contre +3,6% avant 2007. Avec des pays où ce choc est très fort :Royaume Uni : -0,8% depuis la crise contre +6,8% avant 2007, Pays Bas : -0,3% contre +4,3% et surtout Espagne : -2,5% après 2007 contre +8,5% avant. Alors qu’en France, le ralentissement est beaucoup plus faible : +2,2% par an contre +2,8%.

 

 

Le ralentissement est un peu plus prononcé dans les autres pays pour les commerces, transports et services d’hébergement : +1% par an en France après 2007 contre +2,7% entre 1995 et 2007. Ces évolutions sont respectivement de +0,9% et +2,8% dans l’UE.

À partir de 2007, la croissance s’infléchit voire se retourne dans les activités d’hébergements mais pas de manière très prononcée ; elle retrouve sa hausse lente dans plusieurs pays comme au Royaume Uni, en France, et en Espagne et dans une moindre mesure en Italie. En Allemagne et aux Pays Bas, le niveau de 2017 est proche de celui de 2007 après une légère baisse entre 2000 et 2007. On retrouve ces évolutions dans de nombreux services aux particuliers.

Les transports sont particulièrement affectés par la crise de 2007 autant en France que dans l’UE. On transporte ce qu’on produit : la crise touche d’abord l’industrie sauf en Allemagne. Les échanges intra-européens représentent l’essentiel du commerce extérieur de la zone euro. D’autres pays sont encore plus touchés comme l’Allemagne ou surtout l’Italie. Les Pays Bas tirent un peu mieux leur épingle du jeu.

 

 

Dans les activités spécialisées, scientifiques et techniques; activités de services administratifs et de soutien, la crise de 2007-2008 a provoqué aussi un ralentissement un peu plus prononcé dans l’UE qu’en France. Mais la croissance reste très forte au Royaume Uni  (+3,1% par an entre 2007 et 2017) et dans une moindre mesure en Espagne.

 

 

Dans les services d’information et de communication, c’est à peu près la même amplitude dans l’UE (+3,5% après 2007 contre +7,1% avant) qu’en France (respectivement : +3,2%, +6,4%), soit une croissance diminuée de moitié dans les deux cas.

En revanche, le rythme de croissance s’est à peine infléchie au moment de la crise en France dans les télécommunications :  +43% en France  entre 2007 et 2017 (mais la progression se situe surtout avant 2012) contre +28% dans l’UE du fait d’une stabilité de la VA notamment aux Pays Bas et au Royaume Uni , après une hausse très rapide jusqu’en 2007. Même si en Espagne, la valeur ajoutée de ces services a progressé de 90% entre 2007 et 2017;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV – LE PROGRÈS TECHNIQUE DANS LE SECTEUR TERTIAIRE

Activités où la productivité du travail croît plus lentement que dans les autres secteurs, c’est ainsi que, souvent, l’on caractérise les activités tertiaires. Ce phénomène semble de fait confirmé depuis 1960 : la productivité apparente du travail dans l’ensemble des services marchands progresse au rythme de +2,3 % par an entre 1960 et 2018, contre +4,1 % pour l’industrie [7]. Une telle constatation appelle néanmoins deux remarques, l’une d’ordre conceptuel, l’autre d’ordre chronologique. Chacune traduit les mutations de l’offre tertiaire entre 1950 et 2020.

Comme déjà dit, le sens des concepts économiques traditionnels (en particulier les notions de productivité du travail ou de croissance en volume) dans les services et l’application des méthodes de comptabilité nationale méritent une attention particulière. La tertiarisation du système productif et le développement de services modernes, complexes, posent en effet des problèmes non négligeables de mesure statistique. D’abord, de quelle productivité du travail s’agit-il ? Celle de l’ensemble de l’industrie qui peut être améliorée par les services qui lui sont rendus ou celle des services eux-mêmes ? Mesurer un tel concept par branche dans une économie où le travail est de plus en plus déconnecté du produit direct a-t-il toujours un sens ?

La notion de « volume » (quantité physique à qualité donnée pour chaque bien) n’y est pas toujours conceptuellement bien définie, par exemple dans les services non marchands de l’éducation ou de la santé. L’observation des prix des services aux entreprises et des services des télécommunications s’est toutefois améliorée durant la décennie 2000 avec la mise en place des indices de prix dans ces activités (voir page Partage Volume-Prix).

Mais certains telle la recherche développement y échappent. La notion de « volume » peut être assez bien appréhendée pour des activités traditionnelles, telle une « coupe » de cheveux où l’acte élémentaire peut être aisément quantifiable. Il est autrement difficile de mesurer le volume (et son évolution) de services modernes. On est dès lors amené à se demander si l’autre caractéristique d’une activité tertiaire, celle qui a trait aux conditions de l’offre, précisément à la nature du progrès technique, est encore acceptable ?

 

 

 

1/ Typologie de l’évolution de la productivité des services en France sur longue période

Première évolution significative, la croissance de la productivité dans les services, déjà plus faible, s’infléchit comme dans l’industrie après 2000. Mais ce fléchissement diverge selon les activités tertiaires. Ce sont les activités de commerce de gros et de détail, transports, hébergement et restauration, ainsi que la santé, qui expliquent surtout la moindre croissance des gains après 2000. Leurs gains sont passés de +4% avant 2000 (+2,7% pour la santé) à de +1% après 2000 (+0,6% par an pour la santé avec un fléchissement très marqué de 2000 à 2010, et une petite reprise après). Dans cette branche, la décélération est progressive depuis 1960. En revanche, les gains de productivité des télécommunications (déjà très élevés) s’accroissent entre 2000 et 2017.

Mais ici on commente surtout l’évolution en longue période entre 1960 et 2018; et ces commentaires font en partie abstraction de la difficulté du partage volume-prix dans les services.

 

 

a) Une première typologie : par branches

On peut distinguer 4 groupes de services :

 

1 – Dans les télécommunications, Les gains y sont impressionnants (+7,4% par an entre 1960 et 2018). Les services d’information et les activités informatiques ont des gains beaucoup plus faibles (+1,2% par an) presque du même ordre que ceux des services aux entreprises. Mais les mesure-t-on correctement?

 

2 – Dans les services liés à la commercialisation et aux transports, les gains y sont autour de +3% par an entre 1960 et 2018 mais avec une nette décélération depuis 2000 (autour de +1% par an entre 2000 et 2018).

 

3 – Dans les services modernes (services aux entreprises, santé), les gains sont assez faibles entre +1% et +2% par an entre 1960 et 2018. Ces activités dont la valeur ajoutée croît très rapidement sur la période voient leurs effectifs progresser aussi sensiblement un peu moins que la valeur ajoutée : les gains de productivité y sont donc assez faibles. Tout au plus, la productivité apparente du travail dans ces services, touchés par l’informatisation et surtout une forte conjoncture, progresse entre 1960 et 1974 : autres activités spécialisées, scientifiques et techniques + 5,2% par an, santé +4%. Mais après 1974, ces gains sont très faibles. Et ceci est d’autant plus surprenant que va commencer l’ère du numérique.

Aussi les indices de prix enquêtés dans les services aux entreprises après 2000 sont-ils corrects ? Le progrès technique met-il un certain temps avant de s’y diffuser ? Pour la santé non marchande (hôpitaux) où la méthode « output », (soit disant plus satisfaisante), est utilisée à partir des années 2000, on ne retrouve pas une augmentation substantielle de la productivité  (voir page Mesure des volumes et des prix). Toutefois les gains y rebondissent quelque peu après la crise de 2009 contrairement à la plupart des pays.

Ou bien la mesure de la production de ces services expliquent-elle la modestie des gains de productivité ? Pour ne prendre qu’un exemple, les codes juridiques passent de la forme papier à la forme électronique renouvelée chaque année et accessible gratuitement. Cet accroissement des services rendus aux utilisateurs n’est pris en compte qu’à hauteur de la mise en forme électronique. dès lors le relèvement de la productivité ne vaut que pour les activités dont on peut mesurer le produit de façon indépendante.

Les « activités scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien« , qui sont principalement des services aux entreprises, peuvent se retrouver dans ces deux catégories. D’un coté, les services administratifs et de soutien, très disparates (intérim, location, aménagement paysager,….), auraient des gains de productivité très faibles (mais comment mesurer la productivité dans l’intérim ?). Tandis que les activités scientifiques et techniques, eux aussi  disparates, auraient des gains de l’ordre de 1 à 2%% par an.

Outre qu’ils sont destinés aux entreprises, ces services possèdent plusieurs caractéristiques communes. D’une part, leurs structures de production et de travail sont semblables : l’activité y est relativement concentrée : 60 % des salariés de l’ingénierie travaillent par exemple dans les entreprises de plus de 100 salariés.

 

4 – Les services traditionnels aux ménages ont des gains de +1% par an voire moins.  Ces services  font partie des services de basse et moyenne technologie. Dans les deux sous-branches, où sont regroupées les activités traditionnelles de services : « services rendus aux particuliers » (hôtels cafés restaurants, blanchisserie, coiffure…) et « artisans-mécaniciens » la croissance de la valeur ajoutée est moyenne et celle des effectifs faibles ou même nulle, ce qui se traduit par des gains de valeur ajoutée par tête. Mais la stagnation des effectifs masque des changements de structure dans la population active : augmentation du nombre de salariés, surtout des sociétés, diminution des non-salariés et notamment des non-salariés âges qui constituent une population active « d’appointer » dont ta durée efficace du travail devait être faible.

Dans ces activités, on constate que la valeur ajoutée par tête progresse surtout dans les entreprises individuelles et qu’un nombre important de celles-ci disparaissent sur la période. Le niveau de valeur ajoutée par tête est beaucoup plus élevé dans les sociétés, mais les gains y sont plus faibles ; cependant l’augmentation de la part de la production réalisée par les sociétés est en soi un facteur de progression de la valeur ajoutée par tête dans ces activités. Les gains sont alors dus à des restructurations et des concentrations (disparition de petits établissements, restructuration des salles de cinéma, développement des chaînes hôtelières, utilisation de l’informatique par certains restaurants pour gérer leur approvisionnement). Autre point commun à ces activités, la proportion des personnels de service (serveurs, coiffeurs) est importante : deux tiers dans l’hygiène corporelle, 55 % dans les cafés.

 

Ainsi, le développement des entreprises des services « modernes » s’est fait selon le même schéma : une croissance rapide de l’emploi salarié depuis 1960, puis à la fin des années 1970, des investissements importants en matériels (ordinateurs, bureautique, matériels de chirurgie,…) suite à une conjoncture très favorable de la demande et à l’émergence de techniques nouvelles.

Il convient aussi de noter la grande hétérogénéité des entreprises selon la taille. Dans la santé notamment, il est discutable de rendre compte des évolutions de la productivité en agrégeant les médecins libéraux et les hôpitaux dont les investissements sont très importants (équipements médico-chirurgicaux).

D’autres services s’apparentent à l’industrie par leur structure de métier. Qu’ils soient traditionnels (réparations diverses, blanchisserie) ou modernes (réparation automobile, nettoyage), ces services ont en commun une structure des métiers analogue à celle de l’industrie (deux tiers d’ouvriers, moins de 10 % de cadres).

Certains services enfin, de par leur nature même, ne peuvent connaître que des gains de productivité très faibles : la durée de l’étude d’une cause par un avocat peut difficilement être réduite. De même en est-il d’une leçon particulière, d’une activité de recherche ou d’une pièce de théâtre.

 

 

b) Une seconde typologie : par technologie

Une étude récente de l’Insee distingue deux types de services en cherchant à expliquer les causes du ralentissement des gains de productivité [8] : les services de basse et moyenne technologies (commerces, transports, hébergements, activités de servies administratifs et de soutien,..) et ceux de haute technologie  (information, télécommunication, logiciels,…). Elle étudie les variations de la productivité du travail selon l’efficacité productive des entreprises : celles très productives (la « frontière« ), celles peu productives (le « décile« ) et les autres entreprises dites « intermédiaires ». La dispersion des productivités s’analyse en comparant la dynamique de productivité entre la frontière et le premier décile ou la productivité intermédiaire.

Il semblerait que le ralentissement de la productivité depuis 2000 soit d’abord lié à une inefficacité de l’allocation des facteurs de production entre entreprises, phénomène qu’on retrouve dans l’industrie. Défectueuse, elle conduit à allouer des facteurs de production à des unités qui n’en ont pas besoin, ceci conduisant à diminuer la productivité globale, tout en accroissant sa dispersion entre les entreprises. Par exemple, des entreprises peu productives peuvent continuer à fonctionner grâce à des facilites de crédit, tandis que des barrières réglementaires peuvent dissuader de potentielles entreprises productives d’entrer sur le marché, autant de phénomènes qu’on retrouve depuis 2020. D’autre part, l’extension de l’innovation aux entreprises moins productives pourrait avoir ralenti depuis 2010. Enfin, les gains de productivité issues des technologies de l’information et de la communication seraient d’ores et déjà récoltés.

  • Dans les services de basse et moyenne technologies, la divergence de la productivité des entreprises est manifeste entre 2002 et 2007 et se caractérise par une stagnation de la productivité des entreprises les moins productives, pour lesquelles l’emploi a augmenté légèrement plus vite que l’activité. Cette période serait caractérisée par des gains de productivité très faibles (moins de 1 % en moyenne par an pour le commerce, les transports, les services aux ménages ou les services de soutien aux entreprises), voire négatifs pour l’hébergement-restauration (-0,4% par an entre 2000 et 2017). L’augmentation presque continue de la dispersion des productivités entre 2002 et 2007 serait liée, d’une part, à l’accélération de la productivité à la frontière et, d’autre part, au décrochage du premier décile par rapport à la productivité intermédiaire. De 2008 à 2015, l’écart entre la frontière et le premier décile est resté relativement stable. Ainsi, au sein des services de basse et moyenne technologies, les entreprises à la frontière sont 5 fois plus productives que celles du premier décile en 2000, et le sont 5,6 fois plus en 2015. Ce constat moyen masque pourtant une hétérogénéité sectorielle. L’augmentation de la dispersion des productivités de 2000 à 2008 dans les services de basse et moyenne technologies serait compatible avec les politiques d’allègements de charges pour les bas salaires, amorcées dès 1995. En effet, la productivité d’une entreprise peut baisser si elle décide d’employer plus de main-d’œuvre moins qualifiée, à l’aide de ces dispositifs.
  • Le secteur des services de haute technologie échapperait à ce phénomène de divergence. Le capital humain, et en particulier le recrutement et l’emploi d’ingénieurs et de techniciens semble être un moteur important de la diffusion. Deux périodes se distinguent. De 2000 à 2007, les gains de productivité sont similaires entre la frontière, le premier décile et la productivité intermédiaire. Entre 2008 et 2015, la productivité à la frontière baisse tendanciellement malgré une légère reprise en toute fin de période, tandis que la productivité intermédiaire se maintient globalement et que celle du premier décile est dynamique jusqu’en 2012 et stagne ensuite. Les évolutions relatives des productivités de la frontière et du premier décile depuis la crise sont ici toutefois hétérogènes entre les secteurs d’activité. La dispersion des productivités est particulièrement marquée dans les services de l’édition, où la productivité du premier décile continue de croître alors que celle de la frontière diminue fortement (– 7 %), ainsi que pour les activités juridiques, comptables, etc.

 

 

 

 

2/ La productivité du travail en Europe

Malgré les soucis de mesure, les comparaisons européennes sont très utiles. Les données sont disponibles sur une période plus courte. On retrouve plus ou moins la typologie française par produits.

Par exemple, les gains très élevés dans les télécommunications se retrouvent dans la plupart des pays mais parfois de manière moins prononcée. Leur ralentissement depuis la crise de 2007 est aussi plus ou moins marqué.

De même, le second groupe en terme des gains, les commerces et transports, n’est pas homogène suivant les pays même si on observe un net ralentissement de ces gains dans les transports d’abord à partir de 2000, puis ensuite avec la crise de 2009.

Mais la France se singularise surtout , avec le Royaume Uni, par un rebond des gains dans la santé après 2010 alors que ceux ci baissent dans la plupart des pays sans qu’on sache si ces divergences sont en partie liées à des problème de mesure du partage volume-prix, explication qu’on pourrait d’ailleurs retrouver dans la santé.

 

1/ Le premier groupe étudié ici comprend le commerce, transports et hébergements. Les gains de productivité du commerce évoluent en France (+1,4% entre 1995 et 2017) un peu moins vite que dans l’UE. Ces gains évoluent plus rapidement en Allemagne, Pays Bas, Suède (+ 2% à +3% par an) et progressent peu dans les pays du Sud (+0,9% en Italie et en Espagne). Depuis la reprise de 2010, les gains évoluent en France (+2,4% entre 2010 et 2017) comme en Allemagne, au Royaume Uni et aux Pays Bas et un peu plus que dans l’UE (+2,1%).

Dans les transports, les gains sont désormais très faibles aussi bien en France qu’en Allemagne qu’au Royaume Uni (- 0,6% par an après 2010). Ces gains restent toutefois assez élevés en Suède et s’accroissent sensiblement en Espagne.

Dans l »hébergement-restauration, les gains sont très faibles, voire négatifs comme en France entre 2000 et 2018 observés ci-dessus dans le tableau pour la France.

 

 

 

2/ Le second groupe comprend les services d’information : la croissance forte des gains (+3,1% en France entre 1995 et 2017) provient uniquement des télécommunications (+9,5% comme en Allemagne); cette croissance reste soutenue après la crise de 2007-2010. Mais elle est moins forte qu’avant 2007 dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, Italie, et surtout aux Pays Bas et au Royaume-Uni où la productivité diminue de – 1,8% par antre 2007 et 2010 quand elle augmente de plus de 8% dans certains pays dont la France (voir page Économie numérique).

Les gains sont faibles en France dans les services des logiciels spécifiques et bases de données (+0,8% par an entre 1995 et 2017). Mais ils sont bien plus élevés dans d’autres pays, notamment en Allemagne et aux Pays Bas. On note aussi que ces gains sont repartis à la hausse après la crise ce qui explique la progression assez forte dans ces pays. En Espagne et en Italie, ils sont du même  ordre de grandeur qu’en France.

 

 

 

 

3/ Le troisième groupe comprend des services divers : santé, soutien administratif et activités financières. On observe que le ralentissement de la productivité du travail dans la santé depuis 2000 en France se situe uniquement entre 2000 et 2010. Les gains sont de +1,5% entre 2010 et 2017.

Les gains des activités financières restent élevés dans la plupart des pays sauf en Allemagne où ils diminuent de manière singulière de -0,2% par an sur 22 ans. Ils augmentent en France comme dans la moyenne de l’UE entre 2000 et 2017. Ils augmentent plus qu’en France dans plusieurs pays : Espagne, Pays Bas, Royaume Uni, Suède.

Restent les activités de soutien administratif. Les gains diminuent dans la plupart des pays comme en France sauf en Suède et au Royaume Uni, et dans une moindre mesure aux Pays Bas.

 

 

 

 

4/ Enfin, les gains divergent sensiblement dans les activités scientifiques techniques et les activités juridiques et comptables, la publicité, etc,.. . Le Royaume Uni se singularise par des gains de productivité assez élevés dans ces activités (+2,2% par an entre 1995 et 2017 alors qu’on enregistre une baisse dans plusieurs pays). Les gains en France sont de l’ordre de 0,7% par an entre  1995 et 2017 du fait de la publicité et autres activité scientifiques et techniques (+2,2%) quand la productivité du travail baisse partout sauf au Royaume Uni.

 

 

 

 

 

 

 

3/ Les salariés tertiaires puis les ordinateurs

On conclut de tous ces tableaux que les problèmes de mesure ne sont pas spécifiques à la France. Les gains de productivité progressent assez faiblement partout dans les services modernes aux entreprises et dans la santé sauf au Royaume-Uni où la croissance y est un peu plus forte. En revanche, les gains sont très élevés dans les télé communications notamment en France. Dans les commerces, transports et activités financières, ces services de la première génération, les gains n’y sont pas vraiment plus faibles en France, de l’ordre de +1,5% par an entre 1995 et 2017, avec un fléchissement après 2000 comme dans les autres pays.

II apparaît ainsi que les entreprises des services modernes ont dans la première étape de leur développement engagé et utilisé une main-d’œuvre importante, puis ont trouvé dans la croissance du capital un complément à celle du facteur travail. La productivité du travail s’y améliore du fait d’une combinaison plus efficace entre le capital et le travail, de la salarisation (même si on ne peut pleinement la saisir à partir des comptes nationaux), de l’impulsion donnée par les pouvoirs publics, ou par une demande interne et externe soutenue ; autant d’éléments qui soulignent les points de convergence entre l’industrie et cette partie du secteur tertiaire.

Les données d’Eurostat montreraient d’ailleurs que les gains de productivité (calculés ci dessus) sont d’autant plus importants que les actifs en TIC en volume ont augmenté. En Italie, le stock de capital en TIC a progressé assez faiblement dans un pays où les gains de productivité du secteur tertiaire n’ont guère augmenté. En Suède, aux Pays Bas, ou au Royaume Uni, les gains plus élevés de productivité vont de pair avec une forte hausse des actifs en TIC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

V – LA MESURE DE LA QUALITÉ DES SERVICES

Ainsi, au fil des décennies, et au-delà de l’évolution globale, on est passé à travers plusieurs phases de spécialisation d’un secteur tertiaire traditionnel principalement destiné aux ménages à des secteurs tertiaires dont l’un, moderne, s’intègre à l’industrie et à l’économie. La qualité des services devient essentielle dans une économie où ils représentent 80% des actifs. La tertiarisation de l’économie draine-t-elle de nouvelles interrogations. :

  • Quelle est la qualité des services hospitaliers, éducatifs et de tous les services en général, rendus pour le client ? Quelle est la qualité des statistiques ou des comptes nationaux ?  Peut-on bien la mesurer ?
  • Comment évoluent la production en volume et la valeur ajoutée en volume de tous ces services dont il n’est pas toujours simple de faire le partage volume-prix même si celui-ci s’est sensiblement amélioré dans de nombreux services marchands du fait des enquêtes développées depuis la décennie 2000 ? Le nombre d’heures élèves est il un bon indicateur du volume de l’éducation ? Celui du nombre de lits de maisons de retraite, un bon indicateur du volume de services de l’action sociale ?
  • Avec le développement extraordinaire de l’informatique, qui a permis une plus grande efficacité, est-ce que la qualité de services s’est amélioré ? Il ne faut pas confondre efficacité et qualité. On croit souvent que les deux vont de paire. Le traitement informatique et plus généralement le numérique sont indéniablement plus efficaces que le traitement manuel.
  • Il convient de tester le système informatique pour voir si il est capable de s’adapter a une montée du « tragique » (Système élastique). Peut-il absorber une montée du trafic ? Pendant le premier confinement lié au Covid 19 , le Ministère de  l’Éducation Nationale a mis en place un outil informatique pour donner des cours non présentiels. Mais le  système a explosé. L informatique c est un outil efficace mais il faut que  les salariés l’apprivoisent. Il faut que le numérique soit  conçu pour répondre à un besoin spécifique.
  • Peut on ainsi se référer, sans se poser de question, aux évolutions des prix relatifs de certains services qui diminueraient comme en Europe (services de l’information et communication), voire parfois de manière significative en France (activités financières et d’assurances), contrairement à d’autres indices (administration, services aux entreprises) qui augmentent plus que dans les autres pays ? Les INS ne prennent quasiment jamais en compte des effets-qualités négatifs dans le suivi des prix, aussi pour les biens que pour les services.
  • Ces exemples montrent la difficulté d’apprécier cette qualité de service quand au résultat pour l’usager. Tantôt, elle est peut être minorée en évolution. Mais dans d’autres cas, ne serait elle pas surestimée? Plusieurs économistes ont tenté d’expliquer le paradoxe de Solow « Vous pouvez voir l’ère informatique partout sauf dans les statistiques de productivité » en montrant par exemple que les gains de productivité du travail bénéficient à quelques entreprises, voire quelques individus, ou que les outils statistiques ne sont pas adaptés à l’économie numérique (voir page économie numérique).
  • Faut il ainsi mettre en parallèle aux comptes nationaux des indicateurs de qualité des résultats « service » par « service » ? Mais d’abord ceux ci existent ils ? Ces questions sont importantes parce que les services « modernes » représentent la grande majorité du secteur tertiaire, aussi bien du point de vue des effectifs que de la consommation.

 

 

 

1/ La mesure de l’effet qualité

Le service a un caractère instantané car il est produit et consommé au même moment et au même endroit. La qualité d’un service est d’autant plus difficile à gérer quand la participation d’un client est active. Ce dernier juge autant le processus et la relation que le résultat de la prestation. La qualité perçue du service reçu dépend en réalité de la qualité du contrat entre le client et l’ensemble de l’organisme prestataire (supports matériels, personnel en contact…..).

Le client est l’arbitre final de la qualité ; ainsi un produit de qualité du point de vue du client, ne signifie pas nécessairement un produit de luxe ou de haute gamme mais plus simplement un produit qui plait, c’est-à-dire, un produit qui répond à la demande et aux attentes d’un groupe d’acheteurs-cibles.

Certains économistes suggèrent que la qualité soit associée aux éléments physiques du service ce que font en général les offices statistiques, alors que d’autres l’associent aux résultats de l’interaction entre le consommateur et le personnel en contact. Certains expriment la qualité en terme plus globale et, pour eux, elle est fortement liée à la satisfaction que retire le client de cette prestation de service.

L’association française de normalisation (afnor) définit la qualité de service comme étant «la capacité d’un service à répondre par ses caractéristiques aux différents besoins de ses utilisateurs ou consommateurs».

 

La qualité d’un produit ou d’un service est classiquement définie comme étant son aptitude à l’emploi, de manière un peu plus précise, c’est la mesure dans laquelle l’usager ou le consommateur du service ou du produit estime que ce qui lui a été offert répond à ses besoins et à ses attentes.

S’il faut mesurer cette qualité, il convient d’avoir de bons indicateurs. Classiquement cinq grandes batteries d’indicateurs seront utilisées pour baliser la qualité :

  • les indicateurs de perception : indicateurs de satisfaction générale ne se rattachant pas à une attente précise, critère d’impression globale ou encore de ressenti ;

  • les indicateurs de rapidité : diligence, vélocité, vitesse, promptitude à réagir ;

  • les indicateurs de fiabilité : confiance et respect des engagements pris, sécurité, assurance ;

  • les indicateurs de disponibilité : mise à disposition, réactivité, présence, considération ;

  • les indicateurs de confort : facilité, simplicité, commodité, simplification.

Dans le cas de la délivrance d’un service, cinq éléments importants doivent être pris en compte :

  • le client est partie prenante du processus dans la démarche de qualité de service, car ses besoins et ses attentes interagissent en continu lors du processus (la qualité d’un entretien d’un assuré social avec son assistante sociale est bien le résultat de l’ interaction dynamique des deux acteurs) ;

  • on peut vérifier, mesurer, contrôler le niveau de qualité d’un produit avant sa mise en service, ce n’est pas le cas pour une prestation ou un service ;

  • ceci amène l’usager à s’intéresser autant au résultat qu’il obtient ;

  • l’approche « produit » a entraîné les démarches de qualité à fixer les normes, pour éliminer les différences, à normaliser les seuils de tolérance et les écarts acceptables. Dans le secteur des services, il faut au contraire tenter de personnaliser la démarche, d’individualiser l’approche de l’usager ;

  • enfin, dans le secteur des services, la satisfaction est essentiellement subjective.

 

La mesure de la qualité des services reste ainsi complexe : efficacité et qualité vont elles  toujours de pair ? Il reste à démontrer que la qualité de certains services s’améliore nettement pour les usagers avec le développement des ordinateurs dans les entreprises et les administrations. Le résultat, et donc la qualité, s’améliore-t-il dans de nombreux services (hôpitaux, services aux entreprises, transports, éducation,…) du fait notamment les tensions entre l’offre et la demande ? Que ce soient dans les hôpitaux ou dans les établissements scolaires, le nombre de patients ou d’élèves est en forte augmentation en France.

Qu’en est-il dans d’autres activités privées ou publiques plus administratives où la gestion de dossiers est la tâche principale ? L’usager des zones rurales s’y retrouve-t-il quand des services publics disparaissent ? Ici aussi, celui des villes est confronté au problème d’une demande très forte alors que l’offre ne suit parfois pas toujours. Les services sont-ils de meilleur qualité parce qu’ils sont privatisés ?  À l’inverse, l’usager est il satisfait des services administratifs ? Toute étude portant sur l’évaluation des politiques publiques ou des sondages de satisfaction peut devenir utile.  Ne s’agit il pas de penser au client autant qu’au produit ? Les statistiques officielles ne s’intéressent-t-elles pas uniquement à ce dernier aspect en laissant de coté le résultat ?

On s’intéresse ici aux services de santé et d’éducation qui sont des services principalement non-marchands dans la nomenclature la plus agrégée [8]. Mais c’est faute de moyens et de données. Car ces questions concernent aussi les services principalement marchands.

 

2/ les indicateurs sociaux répondent-ils aux questions sur la qualité ?

Le courant des indicateurs sociaux (ou indicateurs de développement durable) se développe à la fin des années 60 et dans la première moitié des années 70. Ces travaux, qui s’inscrivent dans une période assez courte, cherche à faire contrepoids à l’utilisation privilégiée de la comptabilité nationale dans le débat politique ou social par la référence à un ensemble d’indicateurs recouvrant les grands domaines des préoccupations sociales. Une percée emblématique de cette nouvelle tendance a été la création de l’indice de développement des Nations Unies (IDH) en 1990, qui combine le PIB par habitant avec la mesure de la santé (espérance de vie) et des résultats scolaires (alphabétisation et scolarisation).

Durant ces 20 dernières années, on s’est orienté vers les indicateurs composites. La méthode consiste à ne pas chercher une traduction monétaire de ces items mais plutôt à les agréger les uns et les autres, directement, après avoir choisi des poids pour les différentes composantes et fait des opérations de standardisation minimales. Par exemple, cela n’aurait pas de sens de sommer un PIB qui s’exprime en milliers d’euros et une espérance de vie qui s’exprime en années. Un premier travail consiste à ramener chaque composante à une échelle de variation commune, par exemple entre 0 et 1, avant de procéder à une agrégation (éventuellement en pondérant). C’est ainsi que procède l’indice de développement humain introduit en 1990, qui rajoute au Logarithme du PIB par tête en parité de pouvoir d’achat, l’espérance de vie recentrée sur [0,1] et un taux d’éducation moyenne de la population. Le poids donné aux différentes composantes de l’indicateur est toutefois arbitraire et a des conséquences fortes sur son évolution.

Mais ces travaux sur ces questions ne sont ils pas trop globaux, en cherchant à estimer des indicateurs de bien être ?  Ne faudrait il pas mieux s’intéresser à chaque service, pris séparément, où les indicateurs de qualité peuvent être d’ailleurs multiples ? De plus, ces indicateurs de bien être ne disent pas grand chose sur la qualité des services (le « résultat »). Pour mesurer la qualité des soins de santé, il ne faut pas prendre des indicateurs sur la santé mais des indicateurs sur les soins de santé. Un indicateur de qualité et de sécurité des soins est un outil de mesure d’un état de santé, d’une pratique ou de la survenue d’un événement, qui permet d’évaluer de manière valide et fiable la qualité des soins et ses variations dans le temps et l’espace. Il doit mesurer une ou plusieurs dimensions de la qualité des soins. Par exemple, les indicateurs de résultats mesurent directement, à l’issue de la mise en œuvre d’un processus de soins, les bénéfices ou les risques générés pour le patient en termes d’efficacité, de satisfaction et de sécurité.

De nombreux indicateurs sont disponibles sur les bases de données d’Eurostat et des Nations Unies. En voici quelques uns, mais qui ne rendent pas vraiment compte de la qualité des services.

 

 

3/ La santé

L’espérance de vie serait plus un indicateur de bien-être qu’un indicateur de résultat (voir page PIB et bien-être). Il nous semble que le résultat tient plutôt aux besoins de santé non satisfaits ou aux places (lits) dans les hôpitaux. mais d’autres indicateurs sur la qualité des soins devraient être pris en  compte (voir page Comptes satellites). Tout ceci reste très subjectif.

 

a) Statistiques sur les besoins de soins de santé non satisfaits

En 2022, 4,1 % des personnes âgées de 16 ans ou plus dans l’UE ont déclaré avoir des besoins non satisfaits en matière d’examen ou de traitement médical (ci-après dénommés soins médicaux), une proportion qui variait de 0,2 % à Chypre à 12,5 %. au Danemark, 12,6 % en Estonie et 13,1 % en Grèce. Le ratio est de 6,3% en France, bien au dessus de l’Allemagne, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas mais en dessous du Danemark ou de la Finlande. En ce qui concerne les raisons liées à l’organisation et au fonctionnement des services de santé – trop chers, trop loin pour voyager ou listes d’attente – 2,2 % de la population de l’UE ont déclaré avoir des besoins non satisfaits, une part allant de 0,1 % à Chypre jusqu’à 9,0 %. en Grèce et 9,1 % en Estonie – voir graphique suivant.

Proportion de personnes âgées de 16 ans ou plus déclarant des besoins non satisfaits en matière d’examens ou de traitements médicaux, 2022, (%)

 

Dans l’UE, les deux principales raisons expliquant les besoins non satisfaits en matière de soins médicaux en 2022 étaient le coût trop élevé des soins ou les listes d’attente. Ensemble, ces deux raisons représentaient près de la moitié de toutes les personnes ayant déclaré un besoin de soins médicaux non satisfait : en proportion de l’ensemble de la population interrogée, cela représentait 1,1 % pour des raisons de prix trop élevés et 0,9 % pour des raisons de listes d’attente. Les principales raisons invoquées ensuite étaient le désir de voir si le problème s’améliorait de lui-même (0,4 % de la population) et le manque de temps (0,3 % de la population). Les raisons moins courantes comprenaient la peur, le fait de ne pas connaître un bon médecin ou un bon spécialiste, ou le fait que le voyage soit trop loin (tous 0,1 %). Outre les principales raisons indiquées, 1,0  % de la population a indiqué une autre raison (non précisée) pour justifier un besoin de soins médicaux non satisfait.

Les États membres de l’UE présentant une fourchette élevée – lorsqu’ils sont analysés par âge – en termes de proportion de personnes dont les besoins en soins médicaux ne sont pas satisfaits en raison du coût trop élevé, de la distance trop longue à parcourir ou des listes d’attente, affichent des proportions relativement élevées de personnes âgées.

 

 Proportion de personnes déclarant avoir des besoins non satisfaits en matière d’examens ou de traitements médicaux en raison de coûts trop élevés, de distances à parcourir trop longues ou de listes d’attente, par âge, 2022, (%)

Dans l’UE, les deux principales raisons expliquant les besoins non satisfaits en matière de soins médicaux en 2022 étaient le coût trop élevé des soins ou les listes d’attente. Ensemble, ces deux raisons représentaient près de la moitié de toutes les personnes ayant déclaré un besoin de soins médicaux non satisfait : en proportion de l’ensemble de la population interrogée, cela représentait 1,1 % pour des raisons de prix trop élevés et 0,9 % pour des raisons de listes d’attente – voir tableau suivant. Les principales raisons invoquées ensuite étaient le désir de voir si le problème s’améliorait de lui-même (0,4 % de la population) et le manque de temps (0,3 % de la population). Les raisons moins courantes comprenaient la peur, le fait de ne pas connaître un bon médecin ou un bon spécialiste, ou le fait que le voyage soit trop loin (tous 0,1 %). Outre les principales raisons indiquées, 1,0 % de la population a indiqué une autre raison (non précisée) pour justifier un besoin de soins médicaux non satisfait.

  • Les dépenses liées aux soins médicaux étaient la raison spécifique la plus fréquente des besoins non satisfaits en matière de soins médicaux en Belgique, en Bulgarie, en Grèce, en France, en Italie, au Portugal et en Roumanie. En Allemagne comme en Suisse , les dépenses liées aux soins médicaux constituent la raison la plus fréquente (avec au moins une autre raison spécifique).
  • Une liste d’attente entravant les soins médicaux était la raison spécifique la plus fréquemment invoquée pour justifier les besoins non satisfaits en matière de soins médicaux en Irlande, en Espagne, en Autriche, en Pologne, en Slovénie, en Slovaquie, en Finlande et en Suède en 2022 . En Allemagne et aux Pays-Bas, la liste d’attente était le motif spécifique le plus fréquent, avec au moins un autre motif spécifique.
  • Le désir d’attendre et de voir si le problème s’améliore de lui-même était la raison spécifique la plus fréquente des besoins non satisfaits en soins médicaux en Tchéquie, au Danemark, en Hongrie. Il s’agit également de la raison spécifique la plus fréquente, avec au moins une autre raison spécifique en Allemagne et aux Pays-Bas, ainsi qu’en Suisse.

 

Part des personnes âgées de 16 ans ou plus déclarant des besoins non satisfaits en matière d’examen médical ou de traitement, par motif principal, 2022, (%)

 

 

 

 

b) Les lits d’hôpitaux

En 2019, 2,4 millions de lits d’hôpitaux étaient disponibles dans l’UE. Près des trois quarts (72,8 %) d’entre eux concernaient des soins curatifs. La plus grande part du reste était constituée de lits de soins de réadaptation, suivis des lits de soins de longue durée et des lits à d’autres fins. De récents changements méthodologiques dans la classification des lits d’hôpitaux ont conduit à inclure les lits de soins psychiatriques parmi les différentes catégories de lits (curatif, de réadaptation, de soins de longue durée et autres). Cependant, un sous-total distinct pour les lits de soins psychiatriques (dans les quatre catégories) est également disponible (tableau suivant).

Il y avait, en moyenne, 532 lits d’hôpitaux pour 100 000 habitants en 2019 dans l’ensemble de l’UE. Parmi les États membres de l’UE, l’Allemagne a non seulement enregistré le plus grand nombre de lits d’hôpitaux (658 000), mais également le nombre le plus élevé par rapport à la taille de sa population, avec 791 lits pour 100 000 habitants (voir tableau 1). La Bulgarie, l’Autriche et la Roumanie ont également enregistré plus de 700 lits d’hôpitaux pour 100 000 habitants, le ratio en Hongrie étant juste en dessous de ce niveau. L’Espagne, l’Irlande, le Danemark et la Suède ont enregistré le plus faible nombre de lits d’hôpitaux par rapport à la taille de leur population en 2019, tous inférieurs à 300 lits pour 100 000 habitants.

Les lits de soins curatifs représentaient plus de 90 % de tous les lits d’hôpitaux au Danemark, au Portugal, en Irlande, en Slovénie et en Suède. En revanche, moins des deux tiers de tous les lits d’hôpitaux étaient destinés aux soins curatifs en Croatie, en Tchéquie, en Hongrie, en Lettonie et en France (où la part la plus faible a été enregistrée, à 51,4 %). A noter qu’en France et en Lettonie, le nombre de lits de soins curatifs exclut les lits de soins psychiatriques, ceux-ci étant tous classés dans la catégorie « autres lits ».

Dans la plupart des États membres de l’UE , les lits de soins de longue durée représentaient moins de 15 % du nombre total de lits d’hôpitaux en 2019, seules la Hongrie (17,1 %), la Croatie (17,4 %), la Finlande (19,6 %), l’Estonie (19,9 %) et la Tchéquie (29,8 %) déclarent des parts plus élevées.

Lits hospitaliers par type de soins, 2019

Entre 2009 et 2019, le nombre de lits d’hôpitaux dans l’UE a diminué de 7,3 %. Dans la grande majorité des États membres de l’UE, le nombre total de lits d’hôpitaux était inférieur en 2019 à ce qu’il était en 2009. La plus forte contraction du nombre de lits d’hôpitaux a été enregistrée en Finlande, où le nombre de lits a chuté de 44,7 %. Il y a eu quatre États membres de l’UE où le nombre de lits d’hôpitaux a augmenté entre 2009 et 2019 : le Portugal (+1,2 %), Malte (+3,8 %), la Bulgarie (+7,9 %) et l’Irlande (+10,9 %). ruptures de série pour l’Irlande et Malte.

Les graphiques suivants présentent une analyse de l’évolution entre 2009 et 2019 de la disponibilité (par rapport à la taille de la population) pour trois types spécifiques de lits d’hôpitaux. Ces évolutions du nombre de lits d’hôpitaux peuvent être rapprochées de l’évolution de la durée moyenne de séjour des patients hospitalisés et du nombre de sorties d’hôpitaux afin d’analyser l’évolution de l’offre et de la demande de lits d’hôpitaux.

Cinq des 27 États membres de l’UE ont enregistré une augmentation de leur nombre de lits de soins curatifs dans les hôpitaux (par rapport à la taille de leur population) entre 2009 et 2019 (voir la figure 1 pour des informations sur la couverture pour chaque État membre). Il y a eu des augmentations relativement faibles au Portugal, en Irlande (notez qu’il y a une rupture de série) et en Roumanie. Le nombre de lits pour 100 000 habitants a augmenté plus rapidement à Malte (rupture de série) et en Bulgarie, avec des augmentations respectives de 40 et 76 lits pour 100 000 habitants. Au cours de la période considérée, la Lettonie a connu la plus forte diminution de son nombre de lits curatifs, qui a diminué de 141 lits pour 100 000 habitants.

La France n’est pas très bien placée. Alors que le nombre de lits de soins curatifs dans les hôpitaux pour 100 000 habitants est de 387 dans l’UE, il n’est que de 300 en France.

Lits de soins curatifs dans les hôpitaux, 2009 et 2019, (pour 100 000 habitants)

Les lits de soins de réadaptation accueillent des patients hospitalisés dans le but de stabiliser, d’améliorer ou de restaurer des fonctions et des structures corporelles altérées. Au cours de la période 2009-2019, le nombre de lits de réadaptation par rapport à la taille de la population a augmenté dans la majorité (15) des États membres de l’UE. Le nombre de lits de soins de réadaptation a augmenté de plus de 20 lits pour 100 000 habitants en Pologne (2010-2019 ; rupture de série), en Roumanie, en Bulgarie, en Autriche et au Luxembourg (où la plus forte augmentation a été enregistrée, 51 lits supplémentaires pour 100 000 habitants). En revanche, le nombre de lits de soins de réadaptation par rapport à la taille de la population a diminué dans neuf États membres de l’UE entre 2009 et 2019. La France est bien placé avec un ratio de 156 contre 97 dans l’UE.

Lits de soins de réadaptation dans les hôpitaux, 2009 et 2019, (pour 100 000 habitants)

Parmi les 24 États membres de l’UE pour lesquels des données sont disponibles, on a observé une évolution mitigée du nombre de lits de soins de longue durée pour 100 000 habitants au cours de la période 2009-2019 Outre les deux États membres de l’UE qui n’ont signalé aucun lit de soins de longue durée dans les hôpitaux – l’Allemagne et Chypre –, 11 États membres ont enregistré une diminution du nombre de lits de soins de longue durée par rapport à la taille de la population et 11 où il y a eu une augmentation. La plus forte baisse du nombre de lits de soins de longue durée pour 100 000 habitants a été enregistrée en Finlande, passant de 271 à 66 lits pour 100 000 habitants entre 2009 et 2019.

Lits de soins de longue durée dans les hôpitaux, 2009 et 2019, (pour 100 000 habitants)

Le tableau suivant présente une analyse du nombre de lits d’hôpitaux selon le type de propriété de l’hôpital. Les hôpitaux publics sont ceux qui sont sous la propriété ou le contrôle d’une unité gouvernementale ou d’une autre société publique. Les hôpitaux privés peuvent être distingués comme étant à but non lucratif (aucun gain financier pour l’unité ou les unités qui les créent, les contrôlent ou les financent) ou à but lucratif.

En 2020, au moins 90 % des lits d’hôpitaux en Slovénie, en Lituanie, en Croatie, à Malte, au Danemark, en Estonie et en Roumanie se trouvaient dans des hôpitaux publics. À l’autre extrémité de la fourchette, tous les lits d’hôpitaux aux Pays-Bas se trouvaient dans le secteur privé (à but non lucratif), tandis qu’une majorité des lits d’hôpitaux en Allemagne (60 %) et en Belgique (74 %) se trouvaient dans hôpitaux privés. Hormis ces trois États membres de l’UE, c’est à Chypre (56 %) que l’on trouve la plus faible proportion de lits dans les hôpitaux publics.

En termes absolus, le plus grand nombre de lits d’hôpitaux dans les hôpitaux privés à but lucratif se trouvait en Allemagne, où il y avait 205 000 lits en 2020, soit plus du double du nombre le plus élevé suivant, 93 400 en France. Il y avait 184 000 lits d’hôpitaux supplémentaires en Allemagne dans des hôpitaux privés à but non lucratif, ce qui était également le nombre le plus élevé enregistré parmi les États membres de l’UE. Viennent ensuite la France (55 600) et le cas particulier des Pays-Bas, où la totalité du parc de lits d’hôpitaux (50 800 lits) appartient au secteur privé à but non lucratif.

Dans les 20 États membres de l’UE pour lesquels des données sont disponibles pour 2010 et 2020 (voir le tableau 2 pour la couverture), l’évolution du nombre de lits d’hôpitaux dans les hôpitaux privés à but lucratif a été mitigée. Le nombre de lits a augmenté dans 10 États membres de l’UE, notamment en Roumanie, en Bulgarie et en Croatie, où le nombre de lits d’hôpitaux dans les hôpitaux privés à but lucratif a plus que doublé. En termes absolus, les augmentations les plus importantes du nombre de lits ont été enregistrées en Italie (notez qu’il y a une rupture de série), en Bulgarie, en Roumanie et en Allemagne, où les hôpitaux privés à but lucratif ont ajouté respectivement 8 400, 8 000, 6 600 et 5 000 lits entre 2010 et 2020.

Lits hospitaliers par type de propriété, 2010 et 2020

 

 

 

c) La satisfaction des français

Selon une enquête réalisée en mai 2022, l’écrasante majorité des Français (75%) avaient confiance dans leur système de santé, mais soulignent le manque de personnel soignant et les difficultés d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire. Dans le détail, le système de santé était très bien évalué sur différents aspects :

-Le care : la qualité des soins fournis (82% le jugent performant sur cet aspect) et sa capacité à protéger les Français (73%)

-La diversité des spécialités médicales pratiquées (80%)

-Le niveau de remboursement des dépenses santé (71%).

Bien qu’étant perçue positivement par la majorité des répondants (62%), l’autonomie sanitaire – fortement mise à l’épreuve lors de la crise du Covid-19 – était en retrait par rapport aux autres dimensions, de même que l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire (49%). Les femmes, les 18-24 ans, les cadres ainsi que les habitants de l’agglomération parisienne étaient parmi les plus critiques sur cet aspect. Les deux dimensions à améliorer le plus vite selon les interviewés étaient d’ailleurs le recrutement de personnel soignant (cité au total par quasi un Français sur deux, 47%), et l’accès sur l’ensemble du territoire (35%, et 42% pour les habitants des communes rurales).

 

De fait plus d’une personne sur deux (51 %) déclarait avoir un accès « compliqué, long ou partiel » aux services de soins là où elle vit, selon un sondage mené début janvier 2023 auprès d’un peu plus de 1.000 personnes par Elabe pour « Les Echos ».  Le résultat en matière de santé s’est certes amélioré depuis 20 ans du fait des techniques. Mais l’environnement de la santé, le « ressenti » (temps d’attente pour obtenir un rendez-vous médical, déserts médicaux,…), ne s’est certainement pas amélioré. La population de médecins vieillit et quelque 6 millions de Français sont sans médecin traitant., Une majorité de sondés (51 %) estiment que le système de santé fonctionne assez mal ou très mal (contre 22 % en juin 2021).

 

Les français et l’accès au services de soins

Source : Sondage Elabe, janvier 2023

 

Cette part des Français disant peiner à se faire soigner – en se déplaçant ou se servant d’Internet – a bondi de 19 points (!) par rapport au mois d’octobre 2021, veille d’une cinquième vague d’épidémie de Covid. « Certes, c’est par rapport à une période particulière, mais dans la sismologie des sondages, c’est une évolution qui est extrêmement forte. »

Le sentiment d’un dysfonctionnement est plus marqué chez les habitants des communes rurales, des petites et moyennes agglomérations. Les habitants des grandes agglomérations sont plus partagés, même si ces zones peuvent aussi être concernées par le phénomène des « déserts médicaux ».

Près de trois Français sur quatre (73 %) ont le sentiment que le système « s’est dégradé » ces dernières années. Même ceux qui disent n’avoir pas de problème pour se soigner ou ceux qui jugent que le système fonctionne bien parlent en majorité de dégradation.

Interrogés sur les causes des problèmes actuels, les Français mettent en avant le manque de moyens dans les hôpitaux, le manque de soignants, mais aussi le fait que les conditions de travail sont trop difficiles ou que les soignants ne sont pas assez bien payés. Le recours abusif aux urgences est aussi régulièrement pointé du doigt (34 %).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4/ L’éducation

Dans le domaine de l’éducation, il n’est pas non plus facile d’y voir très clair. Certaines données sont publiées par la Banque Mondiale. Mais c’est l’enquête PISA de 2022 (Programme international pour le suivi des acquis des élèves)  de l’OCDE qui offre la meilleure appréciation. Les acquis des élèves de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences sont ainsi évalués tous les trois ans depuis 2000 par cette enquête. Des travaux d’Eurostat sont aussi importants. De même, la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance) étudie ces questions en détail. On propose ici une panoplie d’indicateurs de qualité qu’on peut toujours discuter.

Étant donné la diversité des systèmes nationaux d’éducation et de qualification, la comparaison internationale des données en matière d’éducation passe en premier lieu par un cadre commun de définitions et de nomenclatures.L’actuel cadre est la classification internationale type de l’éducation (CITE) 2011 (tableau ci-dessous). Ces études s’y réfèrent souvent.

 

 

 

 

a) Diversité des indicateurs de résultat mais ne s’agit-il pas plutôt de la qualité ?

On peut d’abord se référer à des ratios comme le nombre d’élèves par classe ou bien la dépense par élève (voir page Comptes satellites).

Le concept de taille moyenne des classes utilisé par l’OCDE correspond au nombre d’élèves qui suivent un cours commun,compte tenu notamment des matières obligatoires et en excluant les enseignements en sous-groupes. Les valeurs sont
calculées en divisant le nombre d’élèves par le nombre de classes. La taille des classes n’est pas calculée dans le second cycle de l’enseignement secondaire (CITE 3), où une organisation parfois complexe des enseignements (pluralité d’options,travail en ateliers) empêche un calcul fiable de cet indicateur.

En 2019-2020, la taille moyenne des classes dans l’enseignement élémentaire (CITE 1) et dans le premier cycle d’enseignement
secondaire (CITE 2), secteurs public et privé confondus, varie de façon importante au sein de l’Union européenne. En moyenne des 22 pays de l’UE membres de l’OCDE, il y a 19 élèves par classe en CITE 1 et 21 en CITE 2 (1.2.3). C’est la France qui présente la taille moyenne de classe la plus élevée en CITE 1, avec 22 élèves par classe. Le minimum est observé en Grèce, en Lettonie et en Pologne, avec 17 élèves par classe. En CITE 2, c’est à nouveau en France que les classes sont les plus chargées, en moyenne avec 26 élèves, puis en Espagne avec 25 élèves par classe, tandis que la Lettonie présente à nouveau le plus faible effectif moyen par classe (17).

Taille moyenne des classes en CITE 1 et en CITE 2, en 2019-2020

Source : OCDE

 

Il est vrai que dans l’enseignement élémentaire, les effectifs scolarisés varient de 27 000 à Malte à 4 279 300 en France, la durée de l’enseignement élémentaire étant respectivement de six et cinq ans dans ces deux pays. Dans le premier cycle de l’enseignement secondaire, c’est à nouveau Malte qui a le moins d’élèves (13 300 répartis sur trois années d’enseignement), tandis que l’Allemagne a l’effectif le plus important (4 478 200 élèves répartis sur cinq à six années d’enseignement selon les filières). Au total, sur l’ensemble des deux niveaux, la France est le pays avec le plus grand nombre d’élèves (7 725 600 élèves). Ces écarts d’effectifs permettent de mettre en perspective les enjeux auxquels ces pays font face, en matière de moyens matériels (bâtiments, restauration scolaire, fournitures, etc.) et humains (personnels enseignants et administratifs).

Effectifs d’élèves en CITE 1 et en CITE 2 en 2019-2020

Source : Eurostat

 

 

 

En 2019, pour les 22 pays de l’Union européenne membres de l’OCDE (UE‑22), la dépense d’éducation par élève est plus élevée en moyenne dans l’enseignement secondaire, soit CITE 2 et 3 (11 600 $ US en parité de pouvoir d’achat – PPA), que dans l’enseignement élémentaire, soit CITE 1 (10 100 $ US), ou encore dans l’enseignement pré-élémentaire, soit CITE 02 (9 800 $ US) : Les différences au sein de l’UE‑22 sont importantes : la Lettonie et République tchèque affichent une dépense inférieure à 7 000 $ PPA dans le premier degré, tandis que la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie et la République slovaque ont une dépense par élève inférieure à 8 000 $ PPA dans le second degré. Dans le même temps, le Luxembourg est le seul pays à présenter une dépense de 22 000 $ PPA ou plus à chaque niveau d’enseignement. Ainsi la Finlande et la Slovénie dépensent nettement plus en CITE 2 (Premier cycle de l’enseignement secondaire) qu’en CITE 1 (Enseignement élémentaire) ou en CITE 3 (Second cycle de l’enseignement secondaire). L’Allemagne et la France présentent des profils assez proches l’une de l’autre : la dépense par élève, relativement faible en CITE 1, s’accroît avec le niveau d’éducation pour atteindre des valeurs élevées en CITE 3.

 

Dépense annuelle au titre des établissements d’enseignement par élève et par niveau de CITE en 2019

Source : OCDE, enseignement pré-élémentaire (CITE 02), Enseignement élémentaire (CITE 1), Premier cycle de l’enseignement secondaire (CITE 2), Second cycle de l’enseignement secondaire (CITE 3)

 

Le coût salarial, notamment des personnels enseignants, représente une large partie de la dépense d’éducation, bien que d’autres postes de dépense, tels que le coût des internats, des cantines scolaires, des services administratifs et des transports scolaires, pour lesquels les données internationales sont moins complètes, pèsent également d’un certain poids dans la dépense.

Par exemple, l’Allemagne et l’Italie ont une dépense par élève en CITE 1 comparable et, dans l’un comme dans l’autre cas, plus importante que la France (1.3.2). Toutefois, l’écart par rapport à la France s’explique différemment pour chacun de ces deux pays voisins. En Allemagne, le salaire des enseignants de CITE 1 est considérablement plus élevé qu’en France, il y a moins d’élèves par enseignant et les enseignants y donnent moins d’heures de cours : autant d’éléments qui creusent l’écart de dépense entre la France et l’Allemagne en faveur de cette dernière, bien que le fait que les élèves reçoivent moins d’heures de cours en Allemagne qu’en France tende à réduire cet écart. En revanche, en Italie, où les enseignants en CITE 1 gagnent moins que les enseignants en France, la dépense par élève demeure plus importante qu’en France du fait d’un temps d’instruction plus élevé, d’un temps  d’enseignement plus faible et surtout d’un nombre d’élèves par enseignants nettement plus faible qu’en France.

 

 

 

b) L’enquête PISA de 2022

Proposée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’étude sur le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est plus importante et plus globale. Pour l’étude 2022 , 690 000 élèves (600 000 dans l’étude précédente) de 81 pays et territoires (79 en 2018) et âgés de 15 ans ont participé aux épreuves, dont près de 7 000 élèves français dans 282 écoles. Comme dans l’étude 2018, la France est un des pays qui réussit le moins à atténuer l’impact du milieu socio-économique sur les résultats scolaires. Ses résultats sont en nette baisse, surtout en mathématiques, mais également en compréhension de l’écrit.

L’enquête 2022 fait état d’une baisse significative et inédite depuis 2000 des résultats des élèves en mathématiques et en compréhension de l’écrit, un peu moins en sciences dans l’ensemble des pays. L’OCDE chiffre la baisse en mathématiques à un trois-quart d’année et à une demi-année en compréhension de l’écrit.

En moyenne, dans les pays de l’OCDE, les garçons obtiennent 9 points de plus que les filles en mathématiques. Ce sont 40 pays, dont la France, qui enregistrent des meilleurs résultats pour les garçons que les filles dans ce domaine, dans seulement 17 pays c’est l’inverse. L’immigration a assez peu d’impact : en moyenne, les performances des élèves issus de l’immigration ne sont pas significativement différentes des autres élèves. Dans 16 pays et économies, les élèves issus de l’immigration ont même obtenu de meilleurs résultats en mathématiques que les non-immigrés, dont le Canada, les Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande (après contrôle du statut socio-économique des élèves et de la langue parlée à la maison). Ce n’est pas le cas de la France où les élèves immigrés décrochent de neuf points (moyenne OCDE cinq points) par rapport aux autres élèves.

Par ailleurs, un élève sur 10 a déclaré ne pas se sentir en sécurité à l’école (en moyenne dans les pays de l’OCDE). Les systèmes éducatifs où l’implication des parents est plus importante ont vu une stabilisation voire une amélioration de leur performance en mathématiques, en particulier pour les élèves défavorisés.

Singapour (avec un score de 575 en mathématiques, 40 points de plus que le deuxième), puis le Japon et la Corée du Sud obtiennent les trois meilleurs scores. Le premier pays européen est l’Estonie, devant la Suisse. En moyenne, les résultats par rapport à l’édition 2018 reculent de 15 points en mathématiques et de 10 points en compréhension de l’écrit, le recul en sciences est minime (2 points), soit un recul total de -28 points (graphique suivant).

En moyenne, la France enregistre un score de 474 en mathématiques et en compréhension de l’écrit (la moyenne de l’OCDE est respectivement de 472 et de 476). En sciences, elle obtient 487, la moyenne étant de 485, soit un total de 1 435 points.

En sciences et en mathématiques, elle reste donc très légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE. Mais par rapport à PISA 2018, elle perd 21 points en mathématiques et 19 en compréhension de l’écrit. Les meilleurs élèves qui atteignent le niveau 5 ou 6 au test de mathématiques sont très minoritaires (7% des élèves contre 41% à Singapour – la moyenne de l’OCDE est de 9%). Pour la lecture et les sciences, le taux de bons élèves (niveau 5 ou 6 aux tests) est semblable à la moyenne de l’OCDE.

L’OCDE évalue également l’effet de l’origine socio-économique sur les performances scolaires. En France, le poids des origines sociales est important : en mathématiques comme en compréhension de l’écrit, il est supérieur à la moyenne de l’OCDE.

PISA 2022 : le niveau global des élèves *

 

* Cumul des scores moyens en mathématiques, compréhension à l’écrit et en sciences par pays/région (sélection),
** Résultats à prendre avec prudence pour des raisons techniques ou des données manquantes.

 

Seuls quelques pays, dont le Japon et la Corée du Sud, améliorent leurs résultats dans chacun des trois domaines examinés.  La France fait partie du très large groupe de pays qui voit ses performances baisser (-46 points). Depuis 2000, le score en mathématiques diminue presque à chaque enquête. Il en va de même du score en lecture depuis 2012. La baisse est moins forte en sciences (graphique suivant). La baisse en France est de près de 35 points en mathématiques et de 30 points en lecture entre 2000 et 2022 quand elle est de l’ordre de 20 points dans la moyenne de 23 pays de l’OCDE. Il n’y a qu’en sciences où la diminution d’une dizaine de points entre 2006 et 2022 est à peu près la même en France et dans les autres pays.

 

 

Aperçu de l’évolution des performances en France, Tendances des performances en mathématiques, en lecture et en sciences en France

Note : Les points blancs indiquent les estimations de la performance moyenne qui ne sont pas statistiquement significativement supérieures ou inférieures aux estimations de l’enquête PISA 2022. Les lignes noires indiquent la tendance la mieux ajustée. Source : OCDE, base de données PISA 2022

 

Aperçu des résultats en mathématiques, lecture et sciences pour la France

Note : * indique des tendances et des changements statistiquement significatifs ou des estimations de performance moyenne qui sont significativement supérieures ou inférieures aux estimations du PISA 2022.

 

La tendance moyenne dans les pays de l’OCDE est négative et, en mathématiques et en lecture, elle l’est de plus en plus au cours de la période la plus récente (tableau suivant). La performance dans PISA 2022 a été la plus faible dans toutes les matières, nettement inférieure à la performance moyenne observée dans toutes les évaluations antérieures (à l’exception de PISA 2018, en sciences). En mathématiques, les performances sont restées proches du niveau de 2003. On retrouve ces baisses en Allemagne, (mais de manière moins prononcée). En Italie il y a quasi-stabilité des scores.

En compréhension de l’écrit, l’Irlande obtient la 2e place et l’Estonie la 6e place. En comparaison, la France se situe bien plus loin derrière, en milieu de tableau avec respectivement la 26e position en mathématiques et la 28e place en compréhension écrite. Si les pays scandinaves et asiatiques sont particulièrement réputés pour leur système pédagogique, ceux de l’Estonie et de l’Irlande sont plus confidentiels. Le mot d’ordre du système estonien est l’autonomie. «Les écoles, comme les enseignants ont beaucoup d’autonomie, à la fois dans leur façon d’enseigner mais aussi dans leur fonctionnement». 70 % des décisions sont prises au niveau de l’établissement scolaire. «Le ministère a un pouvoir d’impulsion et de régulation. Mais les établissements ont une grande flexibilité» pour appliquer le socle commun. C’est à l’établissement de «construire son projet éducatif». En comparaison, «la France on est l’un des pays où le chef d’établissement a le moins de marge de manœuvre»,

«En Irlande, les enseignants sont formés pour travailler avec une large variété de méthodes. Les professeurs sont incités à utiliser les modes d’enseignements qu’ils jugent bons pour répondre aux besoins des élèves auprès de qui ils enseignent». L’accompagnement spécifique des enfants en difficulté est aussi une pierre angulaire du système irlandais. «20 a 25% des professeurs sont désignés exclusivement pour soutenir les enfants avec des besoins spéciaux, ou qui ont des difficultés d’apprentissage», précise la syndicaliste irlandaise. Ainsi, ils peuvent se retrouver en plus petits groupes pour travailler sur des points spécifiques. Le succès pédagogique y est aussi à trouver dans les changements de programmes, tant à l’école primaire qu’au collège, initiés il y a plusieurs années. «La lecture et l’écriture sont des compétences particulièrement mises en valeur en primaire et secondaire. Le nouveau programme pour le collège incite à envisager la lecture comme une activité agréable et utile». «On met l’enfant dans une position active». On fait en sorte que l’enfant s’approprie le texte qu’il lit, par exemple en lui demandant de jouer le texte, ou de le traduire sous forme de dessin».

 

Évolution des performances en mathématiques, lecture et sciences depuis la première évaluation PISA

 

 

 

c) Les dépenses d’éducation en % du PIB

Il est intéressant de mettre en parallèle le niveau des élèves et l’importance des dépenses d’éducation en % du PIB (voir aussi page Comptes satellites). La part des dépenses en France est de 5,2% du PIB en 2018, soit au 11 ème rang des pays de l’OCDE mais le classement PISA la situe au 26 ème rang en 2022.

  • En 2018, les pays de l’OCDE ont consacré en moyenne 4.9 % de leur produit intérieur brut (PIB) au financement de leurs établissements d’enseignement, de l’enseignement primaire à l’enseignement tertiaire, ce pourcentage variant fortement entre les niveaux d’enseignement. En moyenne, la part de la richesse affectée à l’enseignement non tertiaire (enseignement primaire, secondaire et postsecondaire non tertiaire) s’élève à 3.4 % du PIB, soit nettement plus que celle affectée à l’enseignement tertiaire (1.4 % du PIB).
  • Le budget des établissements d’enseignement reste essentiellement constitué de fonds publics dans les pays de l’OCDE (4.1 %). Cependant, on observe des écarts importants entre les pays, puisque l’Irlande, le Japon, la Lituanie et la Fédération de Russie consacrent moins de 3.0 % de leur PIB à l’enseignement, contre plus de 6.0 % au Costa Rica et en Norvège. Les dépenses privées au titre des établissements d’enseignement, de l’enseignement primaire à l’enseignement tertiaire, représentent 0.8 % du PIB, en moyenne, dans les pays de l’OCDE, après transferts entre les pouvoirs publics et le secteur privé.

 

Dépenses totales au titre des établissements d’enseignement en % du PIB (2018)

Les pays sont classés par ordre décroissant des dépenses totales au titre des établissements d’enseignement en pourcentage du PIB. Source : OCDE/ISU/Eurostat (2021)

 

 

 

d) Taux d’emploi des diplômés récents

Enfin, l’accès au marché du travail des jeunes diplômés est aussi un indicateur de qualité de l’enseignement. es «diplômés récents» sont définis ici comme des personnes qui, premièrement, ont atteint au moins le deuxième cycle de l’enseignement secondaire ( CITE 3) comme niveau d’études le plus élevé, deuxièmement, n’ont reçu aucune éducation ou formation (formelle ou non formelle) dans les quatre semaines précédant l’enquête et troisièmement, avoir terminé avec succès leur plus haut niveau d’instruction 1, 2 ou 3 ans avant l’enquête. Les données proviennent de l’enquête communautaire sur les forces de travail.

Le graphique suivant présente les taux d’emploi des jeunes diplômés par niveau d’études au sein de l’UE. Il révèle que les taux d’emploi les plus élevés en 2021 ont été enregistrés pour ceux qui avaient obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur, tandis que des taux d’emploi plus faibles ont été enregistrés pour ceux qui avaient un diplôme d’études secondaires supérieures ou post-secondaires non tertiaires (c’est-à-dire avec un niveau d’éducation moyen) . Il convient de noter que les diplômés récents ayant suivi un enseignement secondaire supérieur professionnel ou post-secondaire non supérieur (ci-après dénommé « enseignement professionnel moyen ») dans la plupart des États membres de l’UE ont enregistré des taux d’emploi plus élevés que ceux ayant suivi un enseignement secondaire supérieur général ou post-secondaire non supérieur. l’enseignement supérieur (ci-après dénommé «enseignement général moyen»).

En examinant les détails, le graphique montre que le taux d’emploi des jeunes diplômés dans l’UE en 2021 était de 79,6 %. Cependant, il existe des différences entre les pays et les taux d’emploi les plus élevés ont été enregistrés aux Pays-Bas (93,1 %) et en Allemagne (91,3 %). Le taux d’emploi des diplômés récents de l’enseignement supérieur était aussi de 90,0 % ou plus à Malte, en Estonie, en Lituanie, en Hongrie, en Slovénie, en Suède, en Finlande, en Autriche, en Irlande et en Lettonie.

Les taux d’emploi les plus faibles ont été relevés en Italie (57,9 %) et en Grèce (60,1 %), voire en Espagne (72,8%). Ce taux  y atteint 78% en France : c’est l’un des taux les plus faibles des pays de l’UE, en dessous de l’objectif européen de 82 % en 2020 et du taux Européen. L’écart est net avec les autres pays d’Europe de l’Ouest et du Nord. De plus, la France se démarque des autres pays de d’Europe de l’Ouest et du Nord par la proportion la plus élevée de jeunes ne travaillant pas et ne suivant ni études ni formation : 13,9 % des jeunes de 15‑29 ans en 2017. La situation de la France est ainsi plus proche de la situation observée dans certains pays d’Europe de l’Est et du Sud, sans toutefois atteindre.

Comme indiqué précédemment, le niveau de scolarité joue un rôle clé lorsque les nouveaux diplômés cherchent un emploi. Les diplômés de l’enseignement supérieur enregistraient les taux d’emploi les plus élevés et étaient généralement mieux protégés contre les risques de chômage que leurs homologues entrés sur le marché du travail avec un niveau d’instruction inférieur.

Taux d’emploi des diplômés récents (âgés de 20 à 34 ans) ne suivant ni études ni formation, par niveau d’études, 2021 (%)

En 2021, le taux d’emploi dans l’UE des hommes récemment diplômés s’élevait à 81,1 %, tandis que le taux correspondant enregistré parmi les femmes récemment diplômées était de 78,2 %, voir figure 3. Cela représente une différence de 2,9 points de pourcentage entre les sexes. Certaines de ces différences peuvent s’expliquer par la nature du domaine étudié, car il existe des différences dans la demande du marché du travail. Les femmes et les hommes ont également tendance à étudier des domaines différents, par exemple, une proportion plus élevée d’étudiants en sciences et technologie ont tendance à être des hommes.

Les différences entre les sexes varient entre les États membres de l’UE, tant en ampleur qu’en fonction du sexe qui a le taux d’emploi le plus élevé. Dans 18 États membres, les hommes avaient un taux d’emploi plus élevé que les femmes, c’était également le cas pour la Serbie. La différence de loin la plus importante a été constatée en Tchéquie, où le taux d’emploi des hommes diplômés était de 16,9 pp supérieur à celui des femmes. Neuf États membres avaient un taux d’emploi plus élevé pour les femmes. Ce fut également le cas en Suisse. La plus grande différence a été observée à Malte où le taux d’emploi était de 12,5 pp plus élevé chez les femmes que chez les hommes.

 

Taux d’emploi des diplômés récents (âgés de 20 à 34 ans) ne suivant ni études ni formation, par sexe, 2021 (%)

 

Dans une perspective d’égalité des chances, il serait intéressant de croiser ces résultats avec l’origine sociale des diplômés du supérieur. On sait que l’accès au supérieur est plus souvent le fait d’enfants de cadres ou de diplômés du supérieur, induisant ainsi le maintien d’inégalités sociales.

 

e) Autres éclairage sur les compétences : TIMSS 2019

Le Programme international de recherche en mathématiques et en sciences (Trends in International Mathematics and Science Study – Timss) donne lieu tous les quatre ans à une évaluation réalisée par l’association internationale pour l’évaluation des résultats scolaires (International Association for the Evaluation of Educational Achievement – IEA). Il évalue les performances en mathématiques et en sciences des élèves de la quatrième et de la huitième année de scolarisation, à compter de la première année de l’enseignement élémentaire dans chacun des pays participants. En France, il s’agit des classes de CM1 et de quatrième. En 2019, 21 pays membres de l’Union européenne à 27 (UE‑27) ont participé à l’épreuve Timss pour les élèves de quatrième année de scolarisation et 10 pays pour les élèves de huitième année

En 2019, lors du dernier cycle d’enquête Timss (Timss 2019), les élèves de quatrième année d’enseignement (classe de CM1 en France) dans les pays de l’UE‑27 participants ont atteint un score moyen de 527 points en mathématiques et de 522 points en sciences. Si certains pays de l’UE ont obtenu des résultats supérieurs à ces moyennes – c’est le cas en Lettonie (546 en  mathématiques et 542 en sciences) ou en Finlande (respectivement 532 et 555) –, d’autres ont obtenu des scores moyens parfois bien inférieurs, comme l’Italie (515 et 510) ou l’Espagne (502 et 511). C’est aussi le cas de la France, où les élèves de CM1 ont obtenu des scores de 485 en mathématiques et 488 en sciences.

L’enquête Timss répartit les élèves selon leur score en groupes de compétences : le niveau « avancé » (score de 625 points ou plus); le niveau «élevé» (550 ou plus); le niveau «intermédiaire» (475 ou plus); le niveau «bas» (400 ou plus). Les élèves ayant un score inférieur à 400 points ne démontrent pas qu’ils possèdent des connaissances élémentaires. Dans les pays de l’UE‑27 qui ont participé en quatrième année (CM1 en France), 94 % des élèves en moyenne atteignent au moins le niveau «bas» dans les deux domaines, ce qui signifie que 6% des élèves ne possèdent pas de connaissances suffisantes. La proportion d’élèves insuffisamment compétents varie de 2% en Autriche, en Lettonie et aux Pays-Bas, à 15% en France pour les mathématiques (5.4.1). En sciences, cette proportion s’étend de 2% en Croatie et en Lettonie, à 14% en France et à Malte (5.4.2).

 

 

 

Les élèves de huitième année d’enseignement (classe de quatrième en France) dans les 10 pays membres de l’UE qui avaient participé à Timss 2019 ont obtenu en moyenne un score de 511 points en mathématiques et de 515 points en sciences. Là encore, certains pays de l’UE‑27 affichent des résultats élevés aux deux épreuves – c’est le cas en Irlande (524 en mathématiques et 523 en sciences) ou encore en Lituanie (respectivement 521 et 534) –, tandis que l’Italie (498 et 500) et surtout la France (483 et 489) sont en retrait.

En comparaison avec l’enseignement élémentaire, la répartition par groupes de compétences dans le premier cycle du secondaire en France est mieux alignée avec celle de la moyenne des pays de l’UE. La proportion d’élèves qui n’atteignent pas le niveau «bas » est de 12% en mathématiques et de 11 % pour les sciences en Europe en moyenne, contre respectivement 12 % et 13 % en France. En mathématiques, les proportions varient de 6% en Irlande à 22% en Roumanie (5.4.3), alors qu’en sciences elle s’étend de 5 % au Portugal à 22% en Roumanie (5.4.4).

Toutefois, si la France a une proportion d’élèves qui n’atteignent pas le niveau «bas » de compétences très proche de celle des pays européens en moyenne, elle se singularise par une forte proportion d’élèves dont les compétences se situent précisément au niveau «bas» de l’échelle. Les proportions d’élèves de quatrième en France qui ont un niveau «bas» sont de 33% en mathématiques et 28% en sciences, contre respectivement 23 % et 20 % en moyenne dans les pays de l’UE. Pour le groupe de niveau «avancé», l’écart est à nouveau en défaveur de la France : seuls 2% des élèves y sont au niveau « avancé » en mathématiques (11 % en moyenne UE) et 3 % en sciences (10% pour l’UE).

Dans l’enseignement élémentaire, la France consacre pourtant 59% du temps scolaire à la compréhension de l’écrit (lecture, expression écrite et littérature) et aux mathématiques, « soit la proportion la plus élevée de tous les pays de l’OCDE », souligne le bilan. Plus précisément, 38% du temps est consacré à la lecture, à l’écriture et à la littérature, et 21% aux mathématiques (contre respectivement 25% et 16% pour la moyenne des pays étudiés.

L’organisation du temps scolaire à l’école primaire

Source: OCDE et son rapport « Regards sur l’éducation 2023 »

 

Paradoxalement, alors qu’elle fait passer du temps à ses élèves sur cette matière, on a vu que la France est classée dernière au sein de l’UE pour les maths dans le classement des CM1 selon l’enquête Timms. Elle est également avant-dernière pour les classes de quatrième.On a vu que l’étude Pisa est moins sévère à l’égard du niveau global des Français. En 2019, elle jugeait que les performances des élèves de 15 ans, en maths comme dans la compréhension de l’écrit, se situaient dans la moyenne mondiale.

 

 

5/ Les transports

La qualité de service (en général) est définie par l’Afnor comme : « la capacité d’un service à répondre par ses caractéristiques aux différents besoins de ses utilisateurs ou consommateurs ». Huit critères de qualité de service sont ainsi définis par les normes NF-EN 13 (2002) et NF-EN 15 : l’offre de service, l’accessibilité, les informations, la durée, l’attention portée au client, le confort, la sécurité et l’impact environnemental. Les indicateurs de ponctualité dépendent du mode de transport considéré. Ils ne sont donc pas directement comparables entre eux.

La qualité de service du transport de voyageurs est principalement mesurée à travers la ponctualité et la régularité des modes de transport. En 2022, la ponctualité se dégrade pour l’ensemble des transports : la reprise du trafic après deux années marquées par la crise sanitaire, les épisodes météorologiques extrêmes ainsi que les pénuries de personnel accroissent les taux de retard, en particulier pour les activités ferroviaires et aériennes.

Le contexte de l’année 2022 est dominé par la reprise du trafic dans le secteur ferroviaire après deux années fortement affectées par la crise sanitaire. Selon le bilan 2022 de l’AQST, la régularité des services s’améliore, que ce soit par rapport aux années marquées par la Covid-19 (2020 et 2021) ou par rapport à 2018 et 2019. Pour le TGV, le taux d’annulation passe ainsi de 2,7 % en 2019 à 1,5 % en 2022. À l’inverse, la ponctualité de l’ensemble des services ferroviaires se dégrade. En 2022, le taux de retard s’établit à 14 % pour les TGV (contre 11,3 % en 2021 et 13,8 % en 2019) et à 16,7 % pour les Intercités (contre 14,1 % en 2021 et 13,2 % en 2019) – (figure D5-1). Cette dégradation s’explique notamment par des épisodes météorologiques extrêmes (sècheresse et incendies), ainsi que par des mouvements de grève en décembre.

Selon l’Omnil, en 2022, la ponctualité des transports collectifs urbains franciliens se dégrade en raison d’une circulation en hausse et d’un manque de personnel. Sur le réseau de surface RATP (bus et tramways), la ponctualité diminue : l’écart entre l’intervalle théorique et l’intervalle observé entre deux passages aux points d’arrêt, au plus fort du trafic, est inférieur à 2 minutes pour 88,1 % des véhicules (contre 90,9 % en 2021 et 90,5 % en 2019). La ponctualité baisse également sur le réseau de métro : 94,2 % des voyageurs empruntant le métro parisien ont attendu moins de 3 minutes en heure de pointe, 6 minutes en heure creuse et 10 minutes en soirée (contre 96,1 % en 2021). Pour le RER et le Transilien, la ponctualité se dégrade aussi : 90,0 % des usagers sont arrivés à destination à l’heure ou avec un retard de moins de 5 minutes pendant la journée en 2022 (contre 91,0 % en 2021).

Selon le bilan 2022 de l’AQST, la ponctualité se dégrade pour l’ensemble des vols (intérieurs, moyens et longcourriers). Elle est cependant plus marquée pour les vols moyens et long-courriers : le taux de retard est respectivement de 28,1 % et 28,4 % pour ces vols (contre respectivement 22,6 % et 23,6 % en 2019). Le manque de personnel explique en partie les difficultés  rencontrées par les compagnies aériennes et les aéroports pour anticiper la reprise du trafic à partir du deuxième trimestre. Le retard moyen est en hausse pour les trois types de vols : 46 minutes pour les vols intérieurs en 2022 contre 41 minutes en 2021, 46 minutes pour les vols moyencourriers en 2022 contre 40 minutes en 2021 et 51 minutes pour les vols long-courriers en 2022 contre 47 minutes en 2021.

Transport de voyageurs : taux d’annulation et de retard par mode de transport en %

 

 

 

 

 

 

 

VI – LES COEFFICIENTS TECHNIQUES DES SERVICES AUX ENTREPRISES : EFFET DE STRUCTURE ET EFFET-LIGNE

L’économie française se désindustrialise à un rythme rapide,  souvent jugé préoccupant (voir page Désindustrialisation par pays). Cette évolution du tissu productif est plus profonde qu’il n’y paraît. Au-delà d’un basculement de la production et des emplois depuis les secteurs industriels vers les secteurs de services, les activités des entreprises deviennent plus complexes et plus diversifiées, au point que la frontière entre services et industrie est aujourd’hui difficile à cerner. En effet, un des aspects les plus étonnants de cette désindustrialisation c’est qu’elle s’accompagne de multiples phénomènes qu’on peut ici énoncer en quelques points :

Tout d’abord la désindustrialisation résulte aussi d’un  « effet de nomenclature », avec l’externalisation de nombreuses activités de services, du nettoyage à la R&D en passant par les cantines et surtout l’intérim. Ce phénomène d’externalisation est particulièrement curieux à étudier d’autant qu’il est plus marqué en France que dans les autres pays d’Europe jusqu’en 2000. Il est toutefois sensiblement freiné durant la dernière décennie : le coefficient technique des services par l’industrie (CI de services / production de l’industrie) ne progresse quasiment plus.

À cela on peut ajouter que :

  • l’industrie est de moins en moins industrielle : d’une part les entreprises du secteur d’activité de l’Industrie diversifient leurs activités vers les branches des services.
  • D’autre part les métiers tertiaires ne cessent d’augmenter dans l’industrie tandis qu’a contrario les emplois des ouvriers sont devenus plus importants dans les services que dans l’industrie.

 

 

 

 

1/ L’externalisation des services aux entreprises par l’industrie s’est en partie estompée depuis 2000

Le tableau excel ci dessous présente les calculs faits pour la France.

Tableau 10 – Externalisation des services

 

Afin d’apprécier l’importance réelle de la désindustrialisation,  on vise à estimer la somme de la valeur ajoutée (ou l’emploi) de l’industrie et de la valeur ajoutée (ou l’emploi)  des services aux entreprises utilisés par l’industrie. Ainsi corrige- t-on le niveau et l’évolution apparents du poids de l’industrie des phénomènes liés à l’externalisation de fonctions tertiaires. Les services à l’Industrie comprennent tous les « services aux entreprises » : « télécommunications »,  « services informatiques », « activités juridiques et comptables,  services d’ingénierie, architectes », « Recherche – Développement » (en base 2005), « autres activités spécialisées,  scientifiques et techniques », « activités de services administratifs et de soutien » qui comprend les services liés à l’emploi (intérim). Les services à l’industrie ne comprennent pas les services financiers qui ne peuvent pas être vraiment externalisés.

Ce chiffrage repose sur le Tableau des Entrées Intermédiaires  (TEI). La méthode consiste à répartir dans un premier temps, les importations entre les consommations intermédiaires  (CI) de services aux entreprises par l’industrie, les CI de services aux entreprises par le reste de l’économie et les emplois finals de services (hors exportations).

Dans un second temps, on calcule les CI de services produits en France par l’industrie (hors celles correspondant à des importations), les CI de services par le reste de l’économie (hors celles correspondant à des importations), et les emplois finals de services (y compris les exportations)  correspondant à la production hors importations. On multiplie alors la valeur ajoutée (VA) des branches de services aux entreprises par le ratio des CI de services par l’industrie (hors celles correspondant à des importations) divisées par la somme des CI totales (hors celles correspondant à des importations)  et des emplois finals.

On obtient une « Valeur Ajoutée (VA) des services aux entreprises utilisés par l’industrie » qu’on peut ajouter à la Valeur Ajoutée de l’industrie.

« VA SERV par IND » = X * (« CI SERV par IND »/(CI TOT + EF TOT)) * VA SERV

(le tout hors import).

 Le ratio X représente la part des services aux entreprises produits intérieurement. Il est supposé fixe sur toute la période  (1980-2012).

Le pourcentage de la « VA de services utilisés par l’industrie + VA de l’industrie/VA totale de l’économie »  passe de 21,9 % en 1980 à 12,9 % en 2012. La part de l’industrie (VA de l’industrie/VA totale de l’économie) varie de 20,3 % à 11,6 %. On observe une hausse de l’écart (VA externalisée se services par l’industrie) entre 1985 et 2000 et une baisse avec la crise de 2007, puis une moindre baisse entre 2010 et 2016. Ainsi, même si le poids de l’industrie est relevé en niveau de l’ordre de 1,5 points à cause de cette correction  (prise en compte des services utilisés par l’industrie), son recul sur 30 ans n’est guère affecté pour la valeur ajoutée.

En terme d’emplois, ces pourcentages sont de 22,2 % en 1980 et 10,9 % en 2016, contre 21,1 % et 9,4 % pour la seule industrie.  Le niveau relevé pour l’emploi l’est à cause des effectifs intérimaires en dépit de leur baisse au moment de la crise. Les emplois de services utilisés par l’industrie représentent 16,2 % des emplois industriels en 2016 contre 5,5 % en 1980 (tableau suivant).

 

 

 

 

Parmi les différents emplois externalisés, ceux dont la croissance est la plus forte entre 1980 et 2010 sont ceux des activités juridiques, comptables, et d’ingénierie.  Par contre, les activités de services administratifs et de gestion qui comprennent les services liés à l’emploi  (intérimaires) ont baissé entre 2000 et 2010 du fait d’une quasi stagnation des consommations intermédiaires en ces services par l’industrie alors que celles-ci augmentent globalement.

Il faut aussi souligner que comme les logiciels et la R&D sont traitées en FBCF, et que ce sont eux qui connaissent la plus forte croissance, le ralentissement est d’autant plus net que ces services ne sont plus considérés comme une CI.

 

 

 

 

 

 

a) L’externalisation s’est ralentie depuis 2000 malgré un regain en 2017 et 2018

Entre 1985 et 2000, période où la croissance en volume a été forte en moyenne, on observe un recours accru aux services : la valeur ajoutée de l’industrie et des services à l’industrie augmente presque aussi vite que le PIB. L’emploi de l’industrie et des services à l’industrie a ainsi augmenté de près de 140 000 personnes entre 1995 et 2000. Cette forte poussée est surtout due aux à l’ingénierie et à l’intérim. Entre 1980 et 2000, l’externalisation a un effet de l’ordre de 23 % sur la baisse de l’emploi industriel ce qui n’est pas négligeable.

Toutefois, entre 2000 et 2016, surtout après la crise de 2007, ce mouvement est freiné même si la part des effectifs des services à l’industrie dans les effectifs de l’industrie ne baisse pas et même si le coefficient technique des services par les branches industrielles augmente encore mais beaucoup plus faiblement qu’avant 2000 Ainsi, la prise en compte du mouvement d’externalisation ne conduit pas à infirmer de façon très significative l’habituel diagnostic de désindustrialisation. Mais elle suggère que ce mouvement a un caractère cyclique marqué comme le montrent les données entre 1980 et 2016. On peu presque parler d’un nouveau cycle depuis 2007, en rappelant encore une fois que les entreprises dépensent (externalisent) en priorité des achats de logiciels et de R&D.

En valeur, de 1970 à 2013, l’industrie manufacturière a externalisé de plus en plus ses activités vers les services. Les consommations intermédiaires de services principalement marchands augmentent fortement : elles ont progressé deux fois plus vite que l’ensemble des consommations intermédiaires de la branche. Globalement, elles se sont accrues plus rapidement que la production, pesant sur la valeur ajoutée. Le recours croissant de l’industrie manufacturière aux services a essentiellement eu lieu au cours des années 1990, puis aurait nettement ralenti jusqu’à s’estomper : la part des consommations intermédiaires de services principalement marchands de la branche manufacturière dans l’ensemble des consommations intermédiaires de la branche a augmenté jusqu’en 2000 ; puis, de 2000 à 2007, elle  nettement ralenti, avant de stagner de 2007 à 2013. Au total, elle a doublé pour atteindre 19 % en 2013.

Sur l’ensemble de la période 1970-2013, la croissance de la part des consommations intermédiaires de services principalement marchands en valeur est due pour les trois quarts à un « effet prix » De 2000 à 2007, la hausse est faible et s’explique pour les deux tiers par un « effet volume ». Et, de 2007 à 2013, la stabilité de leur part résulte d’une légère hausse des volumes relatifs compensée par des prix relatifs en baisse.

Quelles sont les explications de cette relative stabilité depuis 2000 ?

  • D’une part les services en forte croissance (logiciels, bases de données, R&D,..) sont désormais traités en FBCF et non en CI. Certes les rétropolations prennent normalement en compte ces changements conceptuels, ne retenant pas ces services comme des CI avant 1995 (logiciels) et avant 2010 (R&D).
  • D’autre part, de nombreux services en forte croissance jusqu’en 2000 ont connu un très net ralentissement depuis, notamment après la crise 2009 : agences de publicité, services liés à l’emploi (intérim), location, restauration collective,…

 

 

 

b) Comparaisons européennes des coefficients techniques des services

Pour faire des comparaisons internationales, il faut encore être prudent. Comme les marges de transports ne sont pas traitées (de la même façon dans tous les pays et que le partage des logiciels entre CI et FBCF n’est pas le même malgré certaines recommandations internationales), on a préféré exclure au moins les transports des comparaisons. On inclut en revanche dans les produits tertiaires, les services financiers et immobiliers.

En outre, les coefficients techniques sont en secteurs d’activités dans les autres pays et en branches pures en France (voir page Comptabilité nationale et comparaisons internationales).

Ces calculs sont faits ici en valeur.

  • En 2018, le coefficient technique des services par l’industrie manufacturière en valeur est le plus élevé aux Pays Bas aussi bien pour tous les produits tertiaires  (hors transports) que pour les seuls « services aux entreprises ».  La France vient au troisième rang pour les produits tertiaires (derrière l’Italie dont le coefficient technique en produits du commerce est élevé). Son coefficient technique par l’industrie est de 12,1% en 2018, à peine plus élevé qu’en Allemagne, un peu sur-estimé du fait du traitement des logiciels en CI (voir page Investissement incorporel pays). Les coefficients du Royaume Uni et de l’Espagne sont les plus bas.
  • Le coefficient technique des services aux entreprises et d’information par l’industrie est plus élevé en France dans les industries agroalimentaires (IAA) et les biens intermédiaires. Pour l’automobile ou les matériels de transport, il est dans la moyenne des autres pays. Pour l’ensemble de l’industrie ce coefficient technique est aussi en troisième position en France mais cette fois derrière la Suède.
  • Le coefficient technique des produits tertiaires par l’industrie augmente légèrement en France entre 2010 et 2018. La progression est plus sensible au Royaume Uni et surtout en Allemagne (qui rattrape son retard avec la France). Ce rapprochement est un peu moindre pour le coefficient technique des services aux entreprises et d’information : le coefficient technique des services financiers et immobiliers bondit en Allemagne de 1,2% à 2,1%, expliquant une grande partie du rattrapage avec la France.
  • Ainsi si il y a une certaine convergence du coefficient technique global des produits tertiaires par l’industrie, chaque pays a ses spécificités.

 

Coefficients techniques en valeur des produits tertiaires (hors transports) par l’industrie manufacturière dans plusieurs pays en 2010 et 2018 en % 

Coefficients techniques en valeur des seuls « services aux entreprises et d’information» par l’industrie  manufacturière dans plusieurs pays en 2010 et 2018 en %

 

 

  • Ces évolutions et niveaux sont un peu différents pour l’ensemble des branches (secteurs d’activités à l’étranger) : d’une part le Royaume Uni externalise plus de services dans l’ensemble de l’économie que dans l’industrie, autrement dit dans les secteurs tertiaires : le rapport « CI en produits tertiaires / production de l’ensemble des branches » est de 20,6%, soit à peu près comme en Allemagne et en Italie, la France se situant au dessus avec  22,4%, en dessous des Pays Bas et de la Suède (graphique suivant).
  • En évolution, le mouvement d’externalisation des services par l’ensemble des branches est moindre en Italie et au Royaume-Uni. Il est plus élevé en France mais moins qu’en Suède et en Allemagne  : entre 2010 et 2018, le coefficient technique de l’ensemble des produits tertiaires par le total des branches de l’économie gagne 1,06 point en France. Mais la croissance est proche de celle des Pays-Bas.
  • Par un effet de structure le coefficient technique des produits tertiaires par l’ensemble de l’économie augmente sensiblement en France entre 2010 et 2018 : la production des secteurs tertiaires augmente plus que celle de l’industrie. Or ce sont ces branches qui consomment surtout des services. Le coefficient technique de ces produits par l’industrie augmente de 3,9%; celui par les secteurs tertiaires de 4,5%. Mais le coefficient technique de l’ensemble des branches augmente plus : +5,3%.

 

Coefficients techniques des produits tertiaires (hors transports) par l’ensemble de l’économie dans plusieurs pays en % 

 

  • Ce sont donc d’abord des entreprises du secteur tertiaire qui externalisent surtout des services en France durant la décennie 2010 (un peu plus que les entreprises industrielles). Dans d’autres pays (Allemagne, Belgique), le mouvement d’externalisation est parallèle dans l’industrie et le secteur tertiaire entre 2010 et 2018. Tandis qu’au Royaume Uni, Italie, Espagne, le coefficient technique des services par les secteurs tertiaires n’augmente pas. Il reste que les coefficients techniques  des  produits tertiaires (hors transports) par les secteurs tertiaires sont plus proches dans les différents pays en 2018, – excepté les Pays-Bas où ils sont plus élevés (du fait des services administratifs et de soutien) -, que les coefficients techniques des produits tertiaires par l’industrie où des écarts non négligeables subsistaient malgré une convergence (voir ci-dessus).

 

 

Coefficients techniques des  produits tertiaires (hors transports) par les branches tertiaires dans plusieurs pays en %

 

 

On peut s’interroger sur cette moindre croissance en France du coefficient technique des services aux entreprises par l’industrie depuis 2000 et que dans les autres pays (sauf aux Pays-Bas). Toutefois, un regain des CI des coefficients techniques des  services par l’industrie s’est produit en France depuis 2017. On a vu que que les achats intermédiaires des entreprises et des administrations  accélèrent en 2017 en 2018 (+ 3,8% par an en volume en 2017 et 2018). Cette expansion est notamment imputable à la forte croissance des activités scientifiques et techniques.

 

 

c) Le coefficient technique des produits tertiaires par les principaux secteurs tertiaires en Europe

Si le coefficient technique des produits par les branches tertiaires a augmenté en France, c’est largement du à deux groupes de services aux entreprises, activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques d’une part, services administratifs et de soutien d’autre part. Le graphique suivant montre que le coefficient technique des produits tertiaires par ces services aux entreprises a progressé entre 2010 et 2015 au point d’être le plus élevé des pays, presque 40% : la CI des produits tertiaires par les services aux entreprises représente 39% de la production de ces services (contre moins de 37% en 2010), autant qu’en Belgique, et bien plus que dans les autres pays. Les financières et immobilières consomment aussi beaucoup de produits tertiaires en France mais l’augmentation du coefficient technique de ces produits a été moins forte que pour les branche des services aux entreprises.

 

 

 

 

 

2/ Les évolutions des coefficients techniques en produits services : « effet de structure » et « effet-ligne »

Il y a une autre raison de prendre avec prudence les comparaisons internationales des évolutions des coefficients techniques. Nous allons le montrer à travers deux exemples, celui des activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques et celui des services administratifs et de soutien (Activités de location et location-bail, activités liées à l’emploi, enquêtes et sécurité, services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager, activités administratives et autres activités de soutien aux entreprise).

 

 

 

a/ Synthèse des deux approches des coefficients techniques

Les variations du coefficient technique global d’un produit peuvent être le résultat :

— soit de la modification des coefficients techniques élémentaires (coefficient technique des branches), ce qu’on appelle «l’effet ligne»;

— soit, les coefficients élémentaires restant inchangés, d’une structure de consommation intermédiaire, par les branches clientes, différente de la structure de la production effective des branches ; le taux d’augmentation de la consommation totale du produit peut être alors différent de celui de la production totale des branches et de ce fait le ratio « coefficient technique » est modifié.

Ce qui peut se formuler comme suit :

ci,n et pi,n étant respectivement la consommation intermédiaire du produit par la branche i l’année n et la production effective de la branche i l’année n,

 

Cn étant respectivement la consommation intermédiaire totale du produit et Pn la production effective totale des branches l’année n,

 

a i,n étant respectivement les coefficients techniques du produit par la branche i et An le coefficient technique global de ce même produit l’année n, On obtient :

où An-1 est le coefficient technique global du produit l’année n-1.

 

 

On peut estimer le coefficient technique global du produit l’année n en supposant que les coefficients techniques des différentes branches en produit ne varient pas entre l’année n et l’année n-1; c’est alors les variations relatives des productions effectives des branches qui peuvent modifier le coefficient technique global en produit :

Le coefficient technique global réel du produit l’année (n) est alors :

 

 

 

On obtient alors « l’effet de structure », qui résulte de la modification de la « structure de la production » :

 

Et « l’effet ligne » qui résulte de la modification des coefficients techniques des différentes branches :

 

La variation totale du coefficient technique global du produit, soit An — An-l est la somme de ces deux effets.

 

 

 

b) Le coefficient technique des activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques

Ces activités sont au cœur des services aux entreprises. Leur coefficient technique global (rapport entre la CI totale en ces services et la production totale l’ensemble de l’économie)  est en très forte hausse, et ce pour toutes les branches, en particulier les branches tertiaires : 1,91% en 1978; 5,35% en 2017 ! On note quand même un ralentissement pour l’industrie depuis 2000. Pour les branches tertiaires, le rythme de croissance n’est quasiment pas interrompu.

 

Mais une évolution intéressante est aussi celle des « effets de structure » et des « effets lignes » :

Cette croissance globale très forte n’est pas lié à un effet de structure, qui résulte de la modification de la « structure de la production » des branches de l’économie. Cet effet est très faible entre 1978 et 2017 (0,25%) voire quasi nul depuis 2000 (0,5%).

En revanche, « l’effet ligne » qui résulte de la modification des coefficients techniques des différentes branches, est en très forte hausse entre 1978 et 2017 : +3,21%. On note que l’effet-ligne croît après 2000 comme avant 2000.

Au final, on peut vraiment parler d’un phénomène d’externalisation de ces services par les branches tertiaires entre 1978 et 2017, et dans une moindre mesure pour l’industrie.

 

Augmentation du coefficient technique des produits « activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie » : Effet de structure et effet-ligne en %

Les principales branches utilisatrices (en termes de pourcentage des CI dans la CI totale) de ces services sont par ordre et sous réserve que certains pourcentages soient confirmés par l’enquête structure des achats. Il semblerait toutefois que le TEI soit relativement mieux estimé pour ces produits que pour les produits de services administratifs et de soutien, mais avec des écarts possibles entre les sous-produits en niveau 138 ou 88 de la NAF, qui composent cet ensemble de la NAF38.

  • activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques eux-mêmes (50% des CI de ces branches !),
  • puis viennent les branches de R&D (MB) et les services administratifs et de soutien (NZ) (autour de 17% de la CI de ces branches),
  • Plusieurs branches tertiaires (autour de 12% de la CI de ces branches),
  • la branche construction utilise aussi ces services de manière non négligeable (autour de 10% de sa CI).

 

 

c) Le coefficient technique des activités administratives et de soutien aux entreprises

Leur coefficient technique global est de 4,80% soit à peine moins que celui des activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques (5,3%).

Ce coefficient technique augmente sans cesse depuis 1978 (4,37%) malgré un léger tassement depuis la crise de 2007-2010 (4,65% en 2007). Mais il n’augmente quasiment plus depuis 2000 dans l’industrie-agriculture après une hausse importante jusqu’en 2000 (2,65% en 1978, 3,39% en 2000 et 3,43% en 2017). Au contraire, c’est dans les branches tertiaires que ce coefficient augmente depuis 2000 (5,02%) même si il est nettement moins élevé en 2017 (5,30%) qu’en 1978 (5,73%).

Cette croissance globale est donc uniquement dû à un effet de structure  à savoir un déplacement de la production vers les branches tertiaires qui consomment ces services en proportion plus grande que l industrie.

 « L‘effet ligne » qui résulte de la modification des coefficients techniques des différentes branches, est en diminution entre 1978 et 2017 : -0,08% (surtout du fait de la période 1978 – 2000 : – 0,18%). On note donc que l’effet-ligne croît après 2000.

« L’effet de structure », qui résulte de la modification de la « structure de la production » des branches de l’économie est en forte hausse: +0,51% entre 1978 et 2017, dont notamment  +0,30% entre 1978 et 2000.

Au final, il y a bien eu externalisation de ces services par l industrie mais uniquement avant 2000. Il y a eu aussi externalisation de ces services par les branches tertiaires après 2000. Mais on ne peut pas parler d’un phénomène d externalisation de ces services par les branches tertiaires entre 1978 et 2017.

 

Augmentation du coefficient technique des produits « activités administratives et de soutien » : Effet de structure et effet-ligne en %

 

 

Les principales branches utilisatrices (en termes de pourcentage des CI dans la CI totale) de ces services sont par ordre et sous réserve que certains pourcentages soient confirmés par l’enquête structure des achats :

  • Les services administratifs et de soutien eux-mêmes (presque 30% des CI de ces branches),
  • puis viennent les activités financières et immobilières (un peu plus de 20% de la CI de ces branches),
  • les activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie, de contrôle et d’analyses techniques
    autour de 15% de la CI de ces branches,
  • la branche construction utilise aussi ces services de manière non négligeable mais le TEI de l’Insee semble assez imprécis pour en mesurer le poids dans le total des CI (probablement autour de 10%).

 

 

3/ L’intérim, un exemple du ralentissement de la croissance des coefficients techniques des services aux entreprises

En 2017, le secteur de l’intérim dégage un chiffre d’affaires de 31,4bmilliards d’euros. Les entreprises appartenant à des multinationales étrangères réalisent près de la moitié de ce montant. Le secteur est très spécialisé. En valeur, l’activité progresse modérément entre 2007 et 2017 (+2,0b% en moyenne annuelle pour les unités légales du secteur), alors qu’elle avait été dynamique au début des années 2000 et surtout à la fin des années 1990. Hors effet prix, la hausse par rapport à 2007 est faible (+0,5b% en moyenne annuelle). L’industrie et le tertiaire sont les principaux utilisateurs de l’emploi intérimaire, le poids de la première diminuant progressivement par rapport à celui du deuxième entre 2007 et 2017. Les taux de marge demeurent bas. Fin 2016, le secteur emploie 42 900 salariés permanents et 645 000 intérimaires. Parmi les salariés permanents, la proportion de cadres et de professions intermédiaires est élevée. Le salaire horaire brut moyen des salariés permanents atteint 18beuros, soit nettement plus que celui des intérimaires (13 euros)

 

 

a) Un secteur très spécialisé

Le secteur de l’intérim compte 1 600 entre-prises en 2017. Ces dernières sont peu diversifiées. Elles réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires au travers d’unités légales du secteur (93 % en 2017). Par ailleurs, en 2017, seulement 3 % du chiffre d’affaires de l’intérim échappe aux entreprises d’intérim.

Les autres activités des entreprises d’intérim sont principalement des activités de sièges sociaux (1,3 %), de services auxiliaires des transports aériens (1,2 %), de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion (0,7 %) et de gestion d’installations informatiques (0,7 %). Une très faible part de leur chiffre d’affaires est réalisée dans les activités des agences de placement de main-d’œuvre (0,4 %), bien que la loi de cohésion sociale de janvier 2005 autorise les agences d’intérim à proposer ces prestations. Dans certains cas, les intérimaires sont ensuite recrutés comme salariés dans les entreprises utilisatrices. En effet, selon l’Observatoire de l’intérim et du recrutement, en 2017, 37 % des intérimaires se voient proposer d’autres formes de contrat par les entre-prises utilisatrices à l’issue de leur mission.

Lorsqu’elles n’appartiennent pas à des entreprises de l’intérim, les unités légales du secteur appartiennent principalement à des entreprises du nettoyage courant des bâtiments (2 % du chiffre d’affaires des unités légales du secteur).

Les clients du secteur de l’intérim sont quasi exclusivement des entreprises (99 % du chiffre d’affaires), alors que les administrations représentent 6 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des services aux entreprises et les particuliers, 14 %. Ces entreprises clientes du secteur de l’intérim n’appartiennent que très rarement au même groupe (5 % du chiffre d’affaires contre 18 % dans l’ensemble des services aux entreprises). En outre, la part des clients étrangers est très faible (1 % contre 14 % dans l’ensemble des services aux entreprises), les agences d’intérim ayant essentiellement pour but de satisfaire une clientèle locale

 

 

b) Recul de la demande en provenance de l’industrie

Fin 2018, le secteur tertiaire est le principal utilisateur de l’emploi intérimaire (42 %), devant le secteur industriel (38 %) et la construction (20 %), le poids du secteur agricole étant inférieur à 1 %. Au sein du secteur tertiaire, l’emploi intérimaire se concentre dans les transports et l’entreposage (12 % de l’emploi intérimaire total), les services aux entreprises (12 %) et le commerce (9 %).

Le secteur de l’intérim pâtit de la baisse de l’emploi intérimaire dans l’industrie. Fin 2018, ce dernier est inférieur au niveau atteint fin 2007 (301 000     intérimaire progresse fortement dans le secteur tertiaire (329 000 intérimaires fin 2018 après 231 000 fin 2007). L’évolution de l’emploi intérimaire est liée à deux facteurs : d’une part, l’évolution de l’emploi salarié et d’autre part, celle du taux de recours à l’intérim. Entre 2007 et 2018, l’emploi salarié s’accroît nettement dans le secteur tertiaire tandis qu’il baisse dans l’industrie et la construction. Dans le même temps, le taux de recours à l’intérim est en hausse dans l’industrie, la construction et le secteur tertiaire.

Le taux de recours à l’intérim varie beaucoup selon les secteurs. Il est globalement de 3 % fin 2018. Il atteint 10 % dans la construction, 9 % dans l’industrie mais n’est que de 2 % dans le secteur tertiaire. Au sein de l’industrie, c’est dans la fabrication de matériels de transport qu’il est le plus élevé (12 %).

 

– Effectif d’intérimaires en fin d’année selon le secteur utilisateur en milliers

 

4/ La location, autre exemple du ralentissement de la croissance des coefficients techniques des services aux entreprises

la location de biens correspond aux activités de location et location-bail (division 77 de la nomenclature NAF rév. 2), à l’exception de la location bail de propriété intellectuelle et de produits similaires (brevets, marques ; 77Z4). Elle comprend donc la location de véhicules automobiles (77Z1), la location de biens personnels et domestiques (77Z2) et la location d’autres machines, équipements et biens (77Z3).

En 2015, la production de la branche de location de biens représente 1 % de la production totale de biens et services (graphique suivant). Depuis 2009, à la suite de la crise, elle ne croît que faiblement (+ 0,4 % en moyenne annuelle), après avoir quasiment doublé entre 1995 et 2008 (de 20,7 à 38,9 milliards d’euros) et chuté de 8 % entre 2008 et 2009.

Production de location de biens

 

En effet, la location de véhicules automobiles décroche depuis la crise, après avoir crû continûment entre 1995 et 2008. A contrario, celle d’autres machines et équipements se redresse, après avoir fléchi sous le coup de la crise, et celle de biens personnels et domestiques continue d’augmenter (graphique suivant).

Dépenses en locations de biens et services

 

 

Depuis 2009, les acteurs économiques ont donc contenu leurs dépenses en location de véhicules automobiles. Ils ont de même limité leurs achats d’automobiles ou investissements en matériels de transport. Sur la période 1995-2015, la location a gagné du terrain, mais le rapport entre location et achats ou investissements a évolué différemment avant et après la crise. Pour les entreprises et administrations, la location de véhicules a été multipliée en valeur par 2,8 entre 1995 et 2008, alors que les investissements en matériels de transport l’ont été par 1,8. Depuis 2010, location et investissements stagnent, voire s’érodent (graphique suivant). Les entreprises et administrations réduisent la taille ou allongent la durée d’utilisation de leur flotte automobile (louée ou possédée en propre).

La location automobile et les investissements en matériels de transport des entreprises et administrations

 

 

 

 

 

 

 

VII – VERS UNE ÉCONOMIE SERVICIELLE ?

On reprend ici pour partie l’étude « Les entreprises françaises au défi de la transformation servicielle de l’économie Étude du groupe de travail transversal de la CCIR « Dynamique servicielle de l’économie française » [9]. Une dynamique servicielle se substitue à la dynamique manufacturière (voir page Vers un Tableau entrées-sorties idéal et mondial). On serait passé, en 30 ans, d’une ère industrielle à une ère « servicielle ». Dans cette nouvelle ère, l’industrie doit « inventer, pour chaque nouveau produit proposé, une nouvelle relation avec le consommateur permettant de comprendre, pour chacun, l’usage spécifique qu’il fait d’un produit depuis son achat jusqu’à son obsolescence ».

Les entreprises manufacturières ont, de tout temps, produit, consommé et vendu des services (recherche et développement, systèmes et solutions, maintenance et support, vente et distribution). Mais le phénomène s’est accentué jusqu’en 2019 avec une offre combinant étroitement biens et services. Un des futurs enjeux est de développer des activités à très forte valeur ajoutée combinant des biens et des services.

On note  une interpénétration croissante entre l’industrie et le secteur tertiaire : les emplois des ouvriers sont devenus plus importants dans les services que dans l’industrie tandis que les métiers tertiaires ne cessent d’augmenter dans l’industrie  Au cours des dernières décennies, deux tendances structurelles ont affecté les fonctions de service dans l’industrie. D’une part, les entreprises se recentrent sur leur cœur de métier et externalisent les fonctions de service supports de leur production. D’autre part, les entreprises industrielles associent des services à leur production. Ces deux phénomènes sont parfois appelé « servicisation » de l’industrie.

Mais les services ne sont pas seulement des intrants ou des produits regroupés avec des biens, ils sont également le résultat des chaînes de valeur mondiales (CVM) (voir page chaînes de valeur mondiales). Si les chaînes d’approvisionnement sont généralement plus courtes pour les services, on observe également une fragmentation et une internationalisation de leur production.

Plus récemment, les services ont également été décrits comme des activités créatrices de valeur, car leur rôle est de créer de la valeur tout au long de la CVM. Les services conduisent à une plus grande création de valeur et font partie d’une évolution vers des modèles de production plus productifs et plus centrés sur le client, où la valeur peut être considérée comme co-créée avec les consommateurs.

 

 

 

1/ La « servicification »

Elle est définie comme la croissance de l’utilisation de services par l’industrie et de la vente de services par l’industrie.  Le terme « manu-services » désigne plus spécifiquement une large gamme d’activités qui combinent, de manière simple ou plus complexe, les biens manufacturés et les services. Dans ce contexte, le bien « n’est qu’un des éléments constitutifs d’un ensemble plus complexe qui associe des services complémentaires (logiciels, installation, formations), des modes de financement (prêts, leasing), d’assurance (garantie) » ou fait partie d’une solution plus complexe : il n’est rien sans le service, sans l’usage sur lequel il débouche. C’est ce que l’on appelle le système produit-service, la valeur résultant de la nature hybride de l’offre (schéma suivant).

Depuis 2000, les groupes industriels ont ainsi créé des filiales de services ou commerce : sièges sociaux, holdings, ingénierie, location réparations-maintenance, commerce de gros, ventes directes et services après ventes,  etc… (voir page Comptes de l’industrie).

 

D’une offre de produit à une offre hybride : le product-service system (PSS)*

 

 

Il s’ensuivrait une interdépendance entre biens et services et entre secteur secondaire et secteur tertiaire : « gagner en compétitivité industrielle ne peut se faire sans un gain équivalent de celle des services ». Celle-ci serait aussi essentielle à l’international.

L’industrie, les services, les entreprises du numérique feraient ainsi partie d’un même ensemble : l’érosion de la « base productive » est même infirmée si l’on prend l’acception la plus large de l’industrie en intégrant les services d’intérêt public (utilities), le secteur de l’information et de la communication et les services à l’industrie.

Mais le phénomène ne s’arrête pas aux entreprises industrielles. Les autres secteurs – commerce et distribution, tertiaire et construction –, en renforçant l’offre de services, basculent aussi dans une dynamique servicielle. L’activité de services structure ainsi l’avenir de tous les autres secteurs d’activité. Pour cette raison, on peut mettre en exergue les enjeux de transformation servicielle des différents secteurs, quels que soient leurs producteurs/prestataires de services (secteur tertiaire ou secondaire) et les utilisateurs de service.

La France comptait en 2017 plusieurs leaders mondiaux en matière de services. Parmi les 300 premiers groupes mondiaux du classement Forbes, on compte une douzaine d’entreprises françaises du tertiaire. Il s’agit de grands groupes traditionnellement présents à l’international : Sodexo, accor, veolia, axa, onet, altran, capgemini, Elio, Elis, Gecina, Havas, ipsos, Jc. Decaux, france Télécom orange, Edenred ou encore les grands groupes bancaires et d’assurance.

Pour étudier l’économie servicielle, il faut se référer au moins à l’entreprise profilée.

Premiers groupes français du secteur tertiaire apparaissant dans le classement mondial

 

À cette liste, il convient d’ajouter plus d’une dizaine de groupes français du secteur industriel qui font des prestations de services. Ces groupes réalisent un ensemble d’opérations stratégiques pour se consolider à l’échelle nationale, européenne ou mondiale.  On voit ainsi que le positionnement de groupes dans les carrefours d’échanges de services est déterminant : ce sont là où se trouvent, le plus souvent, les sièges sociaux, lesquels sollicitent, dans leur entourage, des services de proximité.

 

Les groupes de services, commerces et transports se sont beaucoup développés depuis une vingtaine d’année. Ces groupes emploient presque 70 % du total des salariés en équivalent temps plein (ETP) employés dans les groupes en France. Ce pourcentage est presque du même ordre de grandeurs que la part des emplois de ces secteurs, (notamment  le commerce, les transports et les services aux entreprises) dans les secteurs principalement d’activité (hors administration et éducation). Il montre ainsi l’importance des groupes dans les services.

Répartition du nombre de groupes et des effectifs salariés en ETP par secteur en 2018 en %

 

 

 

Aussi intéressantes, sont les données du registre EuroGroups (EGR), qui est le registre statistique des entreprises des États membres de l’Union européenne, États et pays de l’Association européenne de libre échange p(AELE) sur les groupes d’entreprises multinationales (EMN). Pour l’année2019, l’EGR couvre au total 174 531 groupes d’entreprises multinationales opérant dans l’UE. L’EGR fournit des informations sur les activités économiques (NACE) exercées par les groupes d’entreprises multinationales dans l’UE. Le graphique suivant présente le type d’activités des groupes d’entreprises multinationales dans les pays de l’UE et de l’AELE. Selon l’EGR, la plus grande population de groupes d’EMN dans l’UE a leur activité principale dans le commerce de gros (18 000 groupes), à l’exception des véhicules à moteur et des motocycles (G46), suivi par les groupes d’EMN exerçant des activités immobilières (L68) et les sièges sociaux et le conseil en gestion activités (M70) ainsi que les activités financières (K64) et le conseil et la programmation informatique (J62), voire le commerce détail (G47).

Activités économiques des groupes d’entreprises multinationales (EMN) dans les États membres de l’UE et les pays de l’AELE en 2019 (Source : Eurostat,  Données EuroGroups Register 2019)

 

 

 

 

2/ Une économie servicielle est bien plus qu’une économie tertiaire

Si tous les secteurs d’activité s’insèrent dans cette logique servicielle, il ne s’agit pas pour autant de les rattacher au secteur tertiaire. Certes, certaines caractéristiques de l’économie servicielle sont propres à l’économie tertiaire. Mais d’autres vont bien au-delà de l’économie tertiaire. Et l’importance du secteur tertiaire dans un pays donné ne suffit pas à en faire une économie servicielle. Avec le numérique, l’économie servicielle emprunte à d’autres logiques économiques :

 

– l’économie des plateformes (et « à la demande »),
– l’économie de l’immatériel,
– l’économie de la fonctionnalité (ou de l’usage) et,
– l’économie des effets utiles.

 

 

 

 

 

3/ Une économie servicielle a son modèle propre

La logique servicielle « correspondrait au développement du service et de la relation client axée sur les effets utiles et la performance d’usage de la solution en valorisant principalement les ressources immatérielles sur lesquelles s’appuie l’activité de l’entreprise » ; elle « viserait à augmenter la valeur créée et la qualité de l’offre en mettant à l’écart la logique de production en volume associée à des coûts unitaires ». La relation à la propriété est transformée ; on est dans la valeur d’usage ; il faut raisonner en coût global de l’usage dont le client bénéficie.

La logique servicielle consiste davantage en la vente d’une performance d’usage ou la contractualisation sur la base d’un résultat qu’en la vente d’un usage par des solutions comme la location ou la mutualisation souvent rémunérées par un droit forfaitaire. Vendre des usages tels qu’une solution autour du cycle de vie d’un pneu ou la facturation à l’unité de photocopies s’apparente plus à une logique de « cycle de vie » ; des solutions centrées sur la mobilité ou des services en efficacité énergétique s’inscrivent dans une logique plutôt servicielle.

Autre différence de taille entre la logique servicielle et une prestation de service standard : l’on n’est pas dans la mise à disposition d’un temps de service ; le service est, en fait, co-produit par l’offreur et l’utilisateur, non pas seulement parce que les besoins du client sont placés au cœur de l’offre, mais parce c’est l’engagement réciproque des différents partenaires qui permet la réalisation et la performance du service.

Plus encore, la performance du service « s’obtient grâce à une relation entre l’offreur et le bénéficiaire qui s’inscrit dans la durée. L’unicité de l’intégration de biens (le cas échéant) et de services de la solution facilite la fidélisation des clients »

On voit ainsi que les premières caractéristiques du modèle serviciel reposent sur  :

– la vente non pas d’un usage seul (le client ne détient pas en propre un bien) mais d’une performance d’usage (vente d’un résultat d’usage apporté au client) ;
– une vraie relation avec le client (ce dernier pouvant s’impliquer dans le design et la production) ;
– des contrats de longue durée (les transactions ne se font pas à l’unité mais sous des formats plus durables) ;
– une redistribution du risque entre acheteur et vendeur (l’entreprise offr au client une garantie sur les résultats).

 

 

 

4/ La France basculerait dans une logique servicielle

le basculement de l’économie et des entreprises françaises dans une dynamique servicielle ne serait pas nouveau. mais le développement des services s’est accentué avec la numérisation et devrait se poursuivre pour plusieurs raisons technologiques. La connectivité croissante des biens grâce à l’Internet des objets (IoT) et des machines grâce à l’Internet industriel des objets (IIoT) ouvre un large champ de différenciation et de modélisation des offres de services. Les solutions SAAS (Software as a service) et IAAS (Infrastructure as a service) où le logiciel ou l’infrastructure peut être presté comme un service au lieu d’être vendu sous licence révolutionne les modes de distribution et d’accès aux biens. L’intelligence artificielle associée à l’explosion des data démultiplie, enfin, les possibilités de services

Au plan macro-économique, la numérisation porte un ensemble de mutations qui renforcent le mouvement vers une économie servicielle : « le numérique, c’est déjà du service ».

 

 

a) La plateformisation

L’émergence des plateformes numériques – au sens où de nouveaux acteurs deviennent, grâce à des algorithmes, intermédiaires entre producteurs et consommateurs pour générer de nouvelles relations– contribue à la dynamique servicielle. Ces plateformes permettent d’accéder aux services et renouvellent les conditions dans lesquelles ces derniers sont servis (mise en réseau de la multitude des consommateurs). L’offre et la demande de services sont mises en relation numérique directe à des coûts moins élevés. la compétition serait remportée par ceux qui rajoutent des services à leur produit de base. Les plateformes génèrent aussi une offre abordable comme le transport en VTC. Grâce au numérique, les coûts liés aux services peuvent ainsi progressivement diminuer tout en offrant un panel de possibilités plus important (livraison à domicile, plusieurs livraisons par jour).

Les entreprises développent aussi des centres de services partagés (CSP) qui visent à mutualiser, standardiser, réduire les coûts et améliorer la qualité des services rendus. Certaines ont fait de ces « usines à services » un axe central de leur stratégie en les développant à plus large échelle ; c’est ce qu’on appelle les Global Business Services (GBS) : ils consistent à « incorporer, via une organisation de CSP multifonctionnels, des processus intégrés (…) gérés par une même équipe, de façon organisée et homogène ». Ils permettent de faire des économies sur les activités qui ne sont pas le cœur métier et de gagner sur les activités à forte valeur ajoutée (R&D).

 

 

b) Le rôle croissant des actifs immatériels

Dans une économie servicielle, les actifs immatériels ont une place prédominante. Et les technologies numériques accroissent même le taux d’utilisation des éléments intangibles jusqu’alors sous-utilisés. Avec le numérique, les investissements dans ces actifs optimisent la création de valeur. Or, une économie de services s’appuie, en grande partie, sur des éléments immatériels : R&D,  capital humain, logiciels, capital marque, design, data, réputation, portefeuille-clients, etc.

Pour les entreprises qui veulent recruter de nouveaux clients, il est ainsi essentiel de s’appuyer sur l’actif lié au portefeuille-clients sachant que ce dernier tire sa valeur de la récurrence de la relation. Les plateformes sont aujourd’hui valorisées sur ces flux clients comme dans le commerce. Les acteurs qui domineront demain sont ceux qui ont la maîtrise de ces actifs immatériels. De fait, les plateformes numériques sont relativement peu capitalistiques, du moins pour l’heure, en investissements matériels. Ainsi, le fait de ne pas être un industriel de l’hôtellerie n’a pas empêché Airbnb d’être un acteur mondial dans ce domaine. Certes ces modèles économiques ne sont pas encore toujours rentables mais ils créent plus de valeur avec moins d’actifs (tangibles).

 

 

c) L’exportabilité nouvelle des services

Autre conséquence de la numérisation, de plus en plus de services sont échangeables ou comportent un maillon exportable avec l’innovation technologique et la baisse des coûts. « Exportable » s’entend de tout service qui peut être presté à distance, adressé à une clientèle professionnelle globale (logistique) ou délivré via des plateformes. Il semblerait ici aussi que « le service est devenu central dans la capacité des acteurs à gagner des marchés », notamment internationaux. Les services peuvent être classés selon leur propension à l’exportation. La numérisation, avec l’avènement des plateformes, a aussi contribué à importer la concurrence internationale sur le marché des services. Quasiment aucun service n’est protégé de la concurrence. La réglementation de certains services empêche de les soumettre à la concurrence mais elle peut réduire leur caractère exportable et priver l’entreprise d’un potentiel de revenus : ainsi, des secteurs fermés à la concurrence comme les transports, la poste, l’énergie ou les télécommunications, ont pu rencontrer des obstacles pour se développer sur les marchés étrangers.

La croissance des échanges de services réalisés par la France a observé une belle dynamique (voir page échanges extérieurs). Le commerce extérieur est de plus en plus tiré par les services. En valeur brute, les exportations françaises de services représentent 25 %. En valeur ajoutée incorporée dans les produits, la France exporte plus de services que de biens selon l’OCDE (voir page Chaînes de valeur mondiales). Les exportations françaises de biens ont un important contenu en services locaux. La France serait l’un des pays européens qui a le contenu le plus important en services dans ses exportations après le Royaume-Uni (services financiers) et la Grèce (tourisme). Pourtant, on met plus souvent en lumière la vente de biens comme des avions que la vente de services comme des logiciels : la vente par Dassault  du logiciel Catia à Boeing a pourtant rapporté €1 milliard.

Les services ont une balance des échanges excédentaire et contribuent à résorber notre déficit commercial à hauteur de 30 % en moyenne. Dans cette balance commerciale des échanges de services, il convient de prendre en compte les services TIC, soit services numériques qui comprennent des services informatiques et de communication (télécommunications, courrier et messagerie) et des services de l’information (données informatiques et transactions liées à l’information).

Les États-Unis sont les principaux exportateurs mondiaux de services numériques tandis que la Chine domine les exportations de biens numériques. La France est plutôt bien située (4ème place devant la Chine) mais sa part dans les exportations mondiales des services TIC a diminué entre 2002 et 2016 (graphique suivant) en raison de la forte corrélation du cycle du commerce des biens et celui des composants informatiques et de la concurrence de la Chine.

 

Évolution des exportations des services TIC dans les exportations mondiales

 

 

 

5/ l’adaptation des entreprises à cette évolution

Trois évolutions conduisent à faire basculer les entreprises dans une logique servicielle :

  • La mondialisation des systèmes productifs : Dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France qui ont largement transféré  leur  production en Asie, les structures productives se sont transformées au profit des secteurs de services si bien que la valeur ajoutée est allée à l’aval. De fait, avec le temps, on observe toujours un glissement de la valeur vers l’aval/l’utilisateur. Mais les pays qui ont de fortes structures industrielles sont aussi bien placés pour développer des services associés. Ainsi en Allemagne, les entreprises de l’industrie ont conservé et fortement automatisé leurs  lignes de production sur les tâches à très faible valeur ajoutée : des plans de formation importants ont été mis en place pour les opérateurs de sorte qu’ils puissent travailler sur des opérations plus complexes. Les industries ont pu développer des services additionnels afin de produire de l’analyse et de la prédiction de pannes ou d’optimiser les consommations énergétiques.
  • L’externalisation des services : La standardisation des systèmes d’exploitation (OS) a d’abord permis l’externalisation des activités informatiques, celles de R&D et des processus métiers de l’entreprise. Le numérique accroît aujourd’hui les possibilités de découplage des services et des tâches de production. L’offre de services peut être rendue en distanciel et non plus en présentiel. Les services financiers (comptabilité, finance), immobiliers ou professionnels, fortement utilisés par d’autres activités industrielles ou tertiaires sont aussi externalisés. Ils correspondent à des tâches qui peuvent être codifiées et donc informatisées et/ou automatisées. Les entreprises externalisent les services via des centres de services partagés et des réseaux de services. La part des emplois dans les pays de l’OCDE, y compris les emplois moyennement ou hautement qualifiés, pouvant être délocalisés est estimée entre 20 et 30 %. Toutefois, on ne saurait exagérer l’ampleur du mouvement. On voit des entreprises qui, conscientes des enjeux cruciaux que représentent certaines fonctions dans un modèle de services, les réintègrent. En France, on a vu que le recours des entreprises industrielles à des prestataires de services tend à se stabiliser sur la période récente : le transfert des emplois industriels  ne portait plus que sur 5 % des emplois au cours de la période 2000 – 2007 contre 25 % entre 1980 et 2007. Le coefficient technique des services par l’industrie n’augmente presque plus après 2000.
  • Une profitabilité croissante sur le service : La profitabilité s’est déplacée sur les services, les produits à fort contenu serviciel (applications digitales) ou sur lesquels sont apportées des solutions de services : source de valeur de plus en plus importante, le service permet de différencier l’offre de produit d’une entreprise de celle de concurrents dans un contexte de banalisation croissante des biens ou faible différenciation par rapport à la concurrence. Une valeur importante est adjointe à ceux-ci par des services : la vente de services ne se fait pas au détriment de celle de produits ; L’essentiel est la manière dont le service est mis en relation avec le bien. Le produit est pratiquement un service en devenir.

 

La part des revenus tirés des services ne fait que croître : de l’ordre de 15 à 25 % il y a quelques années, elle est passée de 30 à 50 % chez divers groupes mondiaux. D’ici 2020, 50 % de leurs revenus pourraient être issus des services. Mais les disparités restent grandes selon la taille ou le secteur de l’entreprise. Les entreprises deviennent progressivement des entreprises de services ; on estime que la moitié des 100 premières marques mondiales sont des marques de services. En France, 75 % des entreprises manufacturières produiraient des services. Au demeurant, les entreprises ne changent pas drastiquement leur niveau de servicification. En ne proposant pas de service, l’entreprise peut perdre des client. Le basculement vers un modèle serviciel se heurte, toutefois, à une difficulté majeure qui est liée au fait que la période de transition ne génère pas forcément de revenus immédiats sur ce segment ou entraîne une baisse des emplois manufacturiers (voir page Comptes de l’industrie). Comment parvenir plus ou moins rapidement à des résultats commerciaux via un modèle serviciel ?

On a tendance à mettre l’accent sur le fait que ce processus est difficile pour les entreprises manufacturières parce que penser, produire et vendre un bien ne repose pas sur les mêmes ressorts que penser, produire et vendre un service. De fait, les modèles économiques des entreprises qui fournissent le produit sont notoirement différents de celles qui produisent le service

 

Modes d’insertion des entreprises dans une logique servicielle

 

 

 

 

 

 

VIII – L’APPROCHE PAR MÉTIERS : LA MAJORITÉ DES OUVRIERS TRAVAILLENT DANS LE SECTEUR TERTIAIRE

On assiste à un mélange des genres. La relation « industrie/service » devient aussi plus complexe que par le passé, la frontière en terme de métiers tendant à s’estomper. Le graphique suivant montre cette imbrication des métiers entre ces deux grands secteurs d’activité jusqu’en 2011.

Il convient ainsi de préciser un aspect important de la tertiarisation de l’économie.  Certes, l’analyse comparative des sources « salariés » des DADS (déclarations annuelles de données sociales) de 1994 et 2011 montre une relative stabilité de l’écart entre la part de l’emploi tertiaire par branche dans la population active (72 % en 1994, 78,5 % en 2011) et la part des catégories socioprofessionnelles tertiaires hors fonction publique (cadres,  professions intermédiaires employés) (58 %, 66 %)

Mais ceci masque certaines évolutions significatives de bouleversements dans l’organisation du travail des entreprises.  Tout d’abord, du fait de la spécialisation, l’emploi des branches tertiaire se situe à un niveau nettement supérieur à celui des métiers tertiaires.

 

 

1/ Une nomenclature des métiers et des activités individuelles

La classification des individus suivant leur activité professionnelle peut être envisagée de deux façons qu’il importe de distinguer nettement :

  • a) Les personnes actives travaillant dans les entreprises classées suivant la place qu’elles occupent dans l’économie, c’est-à-dire suivant la nature des biens qu’elles produisent ou des services qu’elles rendent ; on distingue, par exemple : l’industrie automobile, les commerces de détail alimentaires, les banques, etc… Le caractère distinctif de chaque entreprise envisagée de ce point de vue est ce qu’on appelle l’« activité collective» des personnes qui travaillent dans l’entreprise. Dans les nomenclatures, l’expression «activité collective» est devenue «activité économique» mais c’est toujours la notion de secteur d’activité (regroupant des entreprises ayant la même activité principale) qui détermine cette classification. La nomenclature d’activités française (NAF), est une nomenclature des activités économiques productives, principalement élaborée pour faciliter l’organisation de l’information économique et sociale.
  • b) À l’intérieur d’une même entreprise, toutes les personnes n’exécutent pas le même travail ; on distingue par exemple, dans une entreprise de l’industrie automobile : les ajusteurs, les dactylos, les manutentionnaires, etc… Le caractère distinctif de chaque personne est ce qu’on appelle le « métier» ou plus généralement l’« activité individuelle» de la personne (sa fonction).

La différence entre ces deux notions est illustrée par l’exemple suivant : une dactylo employée dans une entreprise de production automobile sera caractérisée par :

— L’activité économique «industrie automobile», comme l’ajusteur qui travaille dans la même entreprise. Or, l’«industrie automobile» est un sous-secteur d’activité du secteur industriel ou secteur secondaire.

— L’activité individuelle «dactylo», comme une autre dactylo travaillant dans un « établissement de crédit», entreprise enregistrée dans le sous-secteur d’activité «Banques» qui appartient au secteur tertiaire.

C’est la première nomenclature, celle des produits-branches, qui est à la base du principe de la division théorique de l’appareil productif en trois parties selon qu’il est l’auteur soit d’une production agricole et minière, dite production primaire, soit d’une production industrielle dite production secondaire, soit d’une production de services ou production tertiaire. Les deux autres nomenclatures (par secteur d’activité et par métier) expliquent, de façon indépendante, les difficultés d’identification de chacune des trois parties. On a vu que de nombreuses entreprises classées dans l’industrie ont des activités secondaires de services.

On peut illustrer ces problèmes de mesure du tertiaire en représentant la structure de l’appareil productif par un système à trois dimensions. Une dimension exprimée en terme de produits-branches, une dimension exprimée en secteurs d’activité  et une dimension exprimée en terme d’emplois par profession individuelle. Il faut pouvoir identifier la tâche individuelle de chaque personne à l’intérieur de l’entreprise.

 

 

 

 

 

2/ Vers un mélange des genres entre industrie et secteur tertiaire en termes de métiers

Il y a plus d’ouvriers dans le secteur tertiaire que dans l’industrie. Mais ce ne sont pas les mêmes professions. Derrière la désindustrialisation qui a provoqué son invisibilisation croissante et pu faire croire à sa disparition progressive, on observe une recomposition intense de sa structure professionnelle des ouvriers. Ces nouveaux emplois ouvriers se concentrent dans le secteur tertiaire, ils ne signifient pas une disparition de la condition ouvrière et sont même au cœur des dynamiques d’intensification et de précarisation du travail ouvrier.

Mais inversement, le poids des cadres et des employés ne cesse de croître dans les usines. Les groupes industriels se diversifient vers des services. L’investissement associe des services (logiciels) et des biens (matériels informatiques), etc,…. En France, plus de la moitié des emplois salariés des entreprises industrielles est dédiée à des fonctions de service : services commerciaux et administratifs, installation-maintenance, contrôle-qualité, logistique et recherche et développement (R&D) industrielle.

 

Dans dans l’industrie et la construction, les ouvriers constituent la principale catégorie mais elle n’est plus majoritaire en 2019 (respectivement 47 % et 39% ). En outre les cadres et professions intermédiaires sont davantage présents dans l’industrie qu’ils ne le sont dans la construction, probablement en lien avec la complexité des technologies de production mobilisées. Les gains de productivité ont été biens élevés dans l’industrie (voir page Partage Volume Prix) en lien avec la robotisation.

Dans le secteur tertiaire, la structure de l’emploi salarié par profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) varie ainsi fortement selon les secteurs : d’un côté, des services dits de « basse‑moyenne technologie » comme le commerce, les transports, l’hébergement‑restauration, les services aux particuliers et les services principalement non marchands, dans lesquels prédominent les ouvriers et les employés, et d’un autre côté des services dits de « haute technologie » comme les services aux entreprises ou l’information‑communication, où les cadres et professions intermédiaires sont les plus représentés.

On note surtout que es ouvriers représentent plus de 50% dans les transports-entreposage et 30% dans les services aux entreprises, voire pas loin de 20% dans le commerce et dans une moindre mesure dans l’hébergement-restauration.

 

Structure des Emplois salariés par catégorie socioprofessionnelle en 2019

 

Certes la structure de l’emploi par fonction diffère entre l’industrie manufacturière et les services aux entreprises parce que les besoins sectoriels sont naturellement différents mais aussi du fait qu’une partie des fonctions nécessaires aux entreprises de l’industrie est externalisée auprès des entreprises de services aux entreprises. Ainsi, la part des fonctions de services est plus élevée dans les entreprises du secteur des services aux entreprises que dans les entreprises industrielles. L’écart est particulièrement important pour certaines fonctions connues pour être fréquemment externalisées : les services liés aux locaux, l’informatique et les transports (graphique suivant). En particulier, les entreprises industrielles qui ont recours à des travaux informatiques de maintenance des infrastructures des technologies de l’information et de la communication (TIC), de protection des données, de développement et support des logiciels, des systèmes de gestion et des solutions web les externalisent dans plus des deux tiers des cas.

La R&D et les services liés à la production plutôt sont présents dans les entreprises industrielles Les services les plus proches du cœur de métier industriel ont un poids plus élevé dans les entreprises industrielles que dans les entreprises des services aux entreprises. C’est le cas des services liés à la production (11 % contre 4 %) et plus encore de la R&D industrielle (8 % contre 1 %), du fait sans doute de son caractère stratégique, qui la conduit à être moins externalisée.

 

Répartition par fonction de l’emploi des entreprises industrielles et des entreprises de services aux entreprises en 2013 en %

 

 

 

 

3/ Il y a plus d’ouvriers dans le secteur tertiaire que dans l’industrie.

Premier exemple, la forte poussée des ouvriers dans les secteurs tertiaires confirme l’interpénétration croissante entre l’industrie et les services. Certes, leur part dans l’emploi tertiaire global diminue légèrement (de 25 % en 1994 à 23 % en 2011) mais leur nombre (1,8 million en 1994, 2,5 millions en 2011) progresse plus rapidement que le nombre total des ouvriers à tel point qu’il dépasse le nombre d’ouvriers dans l’industrie de 1 million en 2011, qui lui ne cesse de décroître surtout à partir de 2002. Cette poussée provient notamment d’une transformation du mode de production des services. Ainsi le développement de nouvelles formules de restauration (« fast-food » restaurants, cantines) a entraîné une industrialisation de ces branches. Des spécialités ouvrières (réparateurs, salariés de la restauration rapide) apparaissent dans les entreprises tertiaires nouvellement créées.  Enfin, le développement du travail intérimaire explique aussi cette forte poussée. Les entreprises de l’intérim sont classées dans le secteur tertiaire alors que près des trois quarts de leurs effectifs travaillent dans l’industrie.

C’est pourquoi les métiers ouvriers progressent entre 1994 et 2011 dans l’ensemble de l’économie même si ce mouvement  se retourne en 2007, alors que l’emploi des branches industrielles diminue.

 

 

Pour rendre compte de l’actualité du groupe ouvrier, il est donc nécessaire d’éviter de le réduire au monde industriel. Une étude prend comme point de départ la catégorie statistique des ouvriers selon l’INSEE et propose une étude synthétique des recompositions professionnelles au sein du groupe ouvrier à partir d’une analyse quantitative des données de la statistique publique depuis les années 1980  [10]. Au-delà  du déclin numérique du groupe ouvrier, conséquence de la désindustrialisation française, on observe l’émergence de nouveaux emplois qui traduisent la tertiarisation de l’économie (voir page Désindustrialisation par pays). Ces professions en expansion cristallisent les logiques de précarisation et d’intensification du travail.

 

 

 

 

En séparant les actifs occupés des actives occupées, on remarque que le rang de chaque PCS dans la structure sociale sexuée a peu changé (graphique suivant). Chez les hommes, les ouvriers continuent de former le principal groupe social avec 33% des actifs occupés, contre 43% dans les années 1980. Au sein des femmes actives occupées, où les ouvrières n’ont jamais été majoritaires, leur part se réduit de 16% à 9% entre 1982 et 2017. Or, durant la même période, le taux d’emploi des femmes a augmenté continument et celui des hommes a baissé. Les femmes étant moins souvent ouvrières que les hommes, l’affaiblissement relatif du groupe ouvrier dans la structure professionnelle d’ensemble découle donc de l’augmentation très importante de l’emploi des femmes sur cette période.

 

Évolution de 1982 à 2017 de la part des différents groupes sociaux parmi les hommes actifs occupés (haut) et les femmes actives occupées (bas) en %

 

Source : Enquêtes Emploi, 1982-2017. Champ : actifs occupés, France métropolitaine.
Lecture : en 1982, 43 % des hommes actifs occupés sont des ouvriers, contre 33 % en 2017. Cette proportion varie de 16 % à 9 % pour les femmes actives occupée

 

Il convient de préciser la pluralité des emplois qui composent le groupe ouvrier. Le graphique suivant, qui représente les 10 professions ouvrières ayant vu leurs effectifs le plus augmenter et le plus diminuer au cours de la période, montre le remplacement croissant des emplois ouvriers de l’industrie par ceux des services.

Les professions en expansion se caractérisent par la diversité des emplois représentés, et leur distance à l’image de l’ouvrier qualifié de la grande industrie. En effet parmi ces 10 professions, seuls les ouvriers qualifiés de l’industrie agricole et alimentaire ont l’usine comme univers de travail. Pour le reste, ce sont principalement des métiers liés à l’économie du transport et de la distribution, et du tertiaire en général. On constate notamment la place centrale des métiers de la logistique, en particulier ceux des entrepôts (caristes, ouvriers du tri, de l’emballage et de l’expédition, magasiniers) qui sont emblématiques de cette évolution. L’étude des bâtons en clair montre que cette progression s’est en grande partie maintenue jusqu’en 2017 malgré la crise économique de 2007-2012.

Si on fait le même exercice avec les professions qui ont le plus décru au cours de la période, on remarque que ces emplois sont concentrés dans les catégories non-qualifiées, en particulier celles de type industriel. Certes, les diminutions cumulées de ces effectifs (-1 012 300) sont supérieures aux augmentations des emplois en expansion (+832 600), renvoyant ainsi à la réalité d’un groupe en décroissance. Mais en mettant côte à côte ces deux ensembles de professions, on obtient une image du remplacement progressif des emplois non-qualifiés de l’industrie par des métiers ouvriers du tertiaire. Ainsi, en 1983, les professions qui connaitront une croissance représentaient 18% de la population ouvrière, et celles qui connaitront un déclin 24%. En 2016, ces chiffres sont respectivement 38% et 9%.

Les 10 professions les plus en expansion et les plus en déclin entre 1983 et 2016 en effectifs (évolution 2008-2016 en clair)

Source : Enquêtes Emploi, 1982-2017. Champ : actifs occupés, France métropolitaine.
Lecture : «OQ» désigne les ouvriers qualifiés et «ONQ» les ouvriers non qualifiés. Le nombre de nettoyeurs et ouvriers du traitement des déchets a augmenté de +166900 entre 1983 et 2016, dont +142700 entre 2008 et 2016.

 

Ce remplacement suit la recomposition du tissu économique français. Lorsqu’on observe la composition de chacun de ces regroupements en termes de secteur d’activité en 2016, on remarque que les professions en déclin sont en très grande majorité liées au secteur industriel ou à la construction, alors que les emplois en expansion se trouvent dans les secteurs du commerce, du transport, du tourisme et des services. Ceci confirme que dans l’ensemble du groupe ouvrier, les emplois de l’industrie ou de la construction (30% et 16%) ne sont plus majoritaires alors que les secteurs du tertiaire  regroupent maintenant plus de 50% des ouvriers. Les nouveaux emplois font donc dériver le centre de gravité du groupe ouvrier du noyau industriel autour duquel s’est construite sa centralité vers le secteur tertiaire.

Les nouvelles professions qui viennent remplacer les anciens emplois non-qualifiés de l’industrie seraient les plus touchées par la précarisation et l’intensification du travail ouvrier. Par le sous-emploi structurel, la flexibilité du travail et la déqualification des tâches, ces emplois donnent à voir l’émergence de cette condition d’OS du tertiaire par ailleurs décrite pour des professions d’employés. Principalement inscrits dans le secteur des services, ils montreraient une recrudescence du travail répétitif, des pénibilités physiques et des contraintes temporelles. Toutefois le salaire moyen des ouvriers n’augmente pas moins vite que celui des cadres et des employés du fait d’un effet de structure lié à la disparition progressive des ouvriers peu qualifiés dans l’industrie (voir page Désindustrialisation par pays) et ce malgré leur croissance relative dans les services.

 

 

 

4/ La part des cadres et surtout des fonctions de services ne cesse de croître dans l’industrie.

En France, plus de la moitié des emplois salariés directs des entreprises industrielles est dédiée à des fonctions de service : services commerciaux et administratifs, installation-maintenance, contrôle-qualité, logistique et recherche et développement (R&D) industrielle. La part de l’emploi tertiaire dans les branches industrielles progresse sensiblement entre 1994 et 2011 : de 37 % de l’emploi industriel en 1995 (1,2 million de personnes), cette part passe à 45 % en 2011. Elle serait même supérieure à 50% en 2013 selon une étude par fonction (voir ci-dessous) Cette progression relative n’est pas nouvelle : de 20 % de l’emploi industriel en 1962 (1,1 million de personnes), cette part passe à 23 % en 1968 (1,2 million) et 27 % en 1975 (1,7 million).

Cette croissance, parallèle au mouvement de spécialisation des activités tertiaires, résulte du développement de plusieurs fonctions dans les entreprises industrielles : l’administration, la gestion, la distribution et surtout l’informatique. Précisément, c’est l’effectif des cadres supérieurs qui a le plus progressé à l’intérieur de ces différentes fonctions. Avec le numérique,la croissance des fonctions tertiaires dans l’industrie se conjugue avec l’automatisation de étude de l’Insee porte sur les entreprises profilées (EP) et non les unités légales (UL). Cette approche intègre les unités légales « siège social » ou commerciales, chargées de réaliser l’administration, l’approvisionnement et la commercialisation de la production des entreprises industrielles. Le poids de l’industrie en est augmenté. 17 % des emplois salariés des entreprises industrielles sont ainsi portés par des unités légales ou des établissements non industriels. Leurs activités principales sont souvent commerciales (7,5 % des emplois des entreprises industrielles) ou administratives (2,3 % en regroupant les sièges sociaux et holdings).La plupart des entreprises industrielles comportent au moins un emploi de service, même parmi celles composées d’un seul établissement. La fonction exercée par les salariés est précisée par l’entreprise dans la déclaration annuelle de données sociales (DADS). Les salariés sont rattachés à leur fonction principale en négligeant leurs fonctions secondaires. Les salariés des prestataires externes travaillant indirectement au service des entreprises industrielles ne sont pas pris en compte.

Cette étude précise que les services informatiques, les transports et les services liés aux locaux (notamment nettoyage et gardiennage) sont les plus souvent externalisés. La R&D industrielle est concentrée sur un petit nombre d’entreprises, tandis que les fonctions administratives et commerciales sont largement partagées. La R&D, les services informatiques et ceux liés aux locaux sont regroupés sur un nombre réduit d’établissements. La R&D est plus souvent implantée au cœur des établissements industriels que les services commerciaux ou même la logistique.

En 2013, la fonction de production ne représente que 44 % des emplois directs des entreprises industrielles, les 56 % restants étant consacrés à des fonctions de service (tableau suivant).  Les fonctions de service sont présentées par ordre d’éloignement à la fonction de production. La fonction informatique-télécommunications pèse très peu dans l’emploi direct des entreprises industrielles (2,2 %), car elle est très souvent assurée par des prestataires externes travaillant en régie. Les services liés aux locaux (principalement du nettoyage), également en grande partie externalisés, ne représentent que 1,3 % de l’emploi industriel. Les fonctions commerciales et administratives représentent une part importante des emplois des entreprises industrielles (respectivement 11,0 % et 13,3 %).

 

Répartition par fonction de l’emploi des entreprises industrielles en 2013

On retrouve au niveau régional cette  bascule des métiers industriels vers des qualifications intermédiaires. Au-delà des évolutions des activités, les métiers ont fortement évolué en 20 ans dans les Pays de la Loire. Tous secteurs confondus, la part des ouvriers passe de 31 % en 1999 à 25 % en 2019. Le poids des cadres, des professions intermédiaires et des techniciens augmente (respectivement +3,9, +2,3 et +1,4 points). Ce phénomène est le plus visible dans l’industrie manufacturière (graphique suivant). À l’instar des grandes tendances nationales, la part des techniciens et des cadres y augmente, tandis que celle des ouvriers y diminue, en particulier les non qualifiés (-9,5 points). La chute du poids des ouvriers est la plus marquée dans la métallurgie ou le caoutchouc et plastique, au profit de métiers de techniciens et de cadres d’entreprises. Elle est aussi visible dans le textile, où la baisse de la part d’ouvriers non qualifiés se compense par une hausse chez les artisans.

Évolution des métiers dans l’industrie manufacturière entre 1999 et 2019 (en points de %)

 

 

 

 

 

5/ La part des cadres dépasse celle des ouvriers

Il reste que la part des cadres dans l’emploi global dépasse celle des ouvriers, qui se stabilise quasiment en 2021 (+ 0,1 point, à 19,0 %). Au début des années 1980, les ouvriers étaient plus de trois fois plus nombreux que les cadres (voir page Désindustrialisation par pays). Les emplois occupés sont de plus en plus qualifiés. La hausse tendancielle du niveau moyen de qualification des emplois se poursuit. En 2021, les cadres représentent 21,5 % des personnes en emploi, soit 0,5 point de plus qu’en 2020.

Statut d’emploi, type de contrat et catégorie socioprofessionnelle en 2021 en %

 

 

 

6/ les métiers tertiaires sen Europe

Les métiers tertiaires supérieurs sont relativement importants en France. Dans l’Union européenne (UE) à 27 pays, en 2022, parmi 197 millions de personnes en emploi, 5,2 % sont cadres dirigeants selon la nomenclature ESeG (tableau suivant). Cette proportion varie fortement selon les pays, de 1,7 % en Finlande jusqu’à 11,6 % à Malte. Elle est plus élevée qu’en moyenne en France (7,2 %) et plus faible en Allemagne (4,1 %). Dans l’ensemble, sept cadres dirigeants sur dix sont salariés de leur entreprise.

Les professions intellectuelles et scientifiques représentent 21,6 % des emplois de l’UE, un sur quatre travaillant dans l’enseignement. Leur part varie de 14,8 % en Italie à 43,9 % au Luxembourg. Ces professions sont plus fréquentes en France (23,3 %) et dans les pays du Nord de l’UE (28,5 % en moyenne).

Les professions intermédiaires salariées constituent 14,3 % des emplois européens. Elles représentent 16,7 % des emplois en France et sont aussi plus fréquentes dans les pays de l’Ouest de l’UE (17,1 % en moyenne). En revanche, elles sont bien moins représentées dans le Sud et l’Est, ainsi qu’en Irlande.

Parmi les emplois de l’UE, 14,8 % sont des postes d’employés qualifiés, de type administratif ou des professions de la santé (aides‑soignants), du social et de la sécurité (agents de police, notamment) ; près de deux emplois sur trois de ce groupe sont occupés par des femmes. La part des employés qualifiés en France est très proche de la moyenne de l’UE (15,0 %). Elle est plus basse dans l’Est de l’UE.

Répartition des personnes en emploi par groupe socioéconomique et par pays dans l’UE en 2022

Note : la somme en ligne des sept premières colonnes n’est pas toujours égale à 100 % car certaines personnes ne sont pas classées (0 à 3,0 % selon le pays).
Lecture : en 2022, 5,2 % des 197 089 milliers de personnes en emploi dans l’Union européenne sont des cadres dirigeants.
Champ : Union européenne à 27 pays, personnes en emploi au sens du BIT de 15 ans ou plus vivant en logement ordinaire.
Source : INS, Eurostat, enquêtes sur les forces de travail (extraction des données en avril 2023).

 

 

 

 

 

 

 

IX – LE SECTEUR TERTIAIRE MARCHAND EN EUROPE

 

1/ Quelques grandeurs de cadrage

Entre 2000 et 2020, la part de la valeur ajoutée totale de l’UE générée dans le secteur des services (tertiaire) est passée de 69,2 % à 73,1 %, principalement du fait de la production accrue des activités professionnelles, scientifiques et techniques.

La part des services dans la valeur ajoutée totale de l’UE a diminué entre 2020 et 2021, passant de 73,1 % à 72,4 %; une partie au moins de cette contraction peut s’expliquer par la crise de la COVID-19. Si la plupart des activités économiques des entreprises ont fortement rebondi en 2021, la pandémie a eu des effets disproportionnés sur plusieurs activités de services.

En 2021, la part du tertiaire dans la valeur ajoutée totale était supérieure à 80 % dans les économies axées sur le tourisme de Chypre et de Malte, bien que la part la plus élevée ait été enregistrée au Luxembourg, à 87,2 % (qui se caractérise par un important secteur des services financiers).  En France, même si cette part n’est tas pas tout à fait comparable aux autres pays du fait qu’elle est calculée à partir d’un TES en branche pure,  elle était de 80%, nettement plus élevée que dans les grands pays de l’UE. (72,4% en moyenne dans l’UE).

Valeur ajoutée brute du secteur des serviCes (%, part de la valeur ajoutée totale, 2021)

Source : Eurostat

Ces dernières années, la valeur du commerce mondial de services a rapidement augmenté. Cette tendance s’observait également au sein de l’UE, la valeur des exportations vers les pays tiers ayant progressé globalement de 89,9 % entre 2010 et 2019, et celle des importations depuis l’extérieur de l’UE de 109,2 %. Un renversement rapide s’est produit en 2020, les conséquences de la crise de la COVID-19 ayant entraîné une forte baisse de la valeur des exportations et des importations, de 15,1 % et 14,1 % respectivement. En 2021, les exportations de services de l’UE vers des pays tiers étaient estimées à 1 027 milliards € et les importations vers l’UE à 894 milliards €. L’UE a réalisé un excédent commercial pour les services entre 2010 et 2021, avec un pic en 2018 (134 milliards €); un excédent similaire a été observé en 2021 (133 milliards €).

Commerce international de services avec les pays tiers (milliards d’euros, UE, 2010-2021)

Source : Eurostat

 

La directive européenne des services (0123:2006) vise à éliminer les obstacles pour les PME dans un large éventail de services. Les services couverts par la directive sont les suivants:

  • Commerce et distribution (y compris la vente au détail et en gros de biens et services)
  • Les services de construction et de l’artisanat
  • Les services aux entreprises (tels que l’entretien des bureaux et le recrutement)
  • Le tourisme / les voyagistes
  • Services de loisirs (par exemple, les centres sportifs et les parcs d’attractions)
  • Installation et entretien d’équipement
  • Les sociétés de services informatiques
  • Hébergement et services de restauration
  • Formation et éducation
  • Location et crédit-bail (y compris la location de voiture)
  • Services immobiliers
  • Services d’aide aux ménages (par exemple, le nettoyage, le jardinage et nourrices privées)

 

Le commerce extérieur de services est un enjeu considérable pour des pays tels la France ou l’Espagne comme le montrent les deux tableaux suivants. Les échanges de services correspondent à la valeur des services échangés entre résidents et non-résidents d’une économie, y compris des services fournis par les filiales établies à l’étranger. Les services comprennent les transports (de marchandises et de voyageurs), les voyages, les services de communication (postale, téléphonique, par satellite, etc.), les services de BTP, les services d’assurance et financiers, les services d’informatique et d’information, les redevances et droits de licence, les autres services aux entreprises (négoce international, location-exploitation, services techniques et spécialisés, etc.), les services culturels et récréatifs et les services fournis ou reçus par les administrations publiques non inclus dans la liste ci-dessus. Les échanges de services permettent les échanges de savoir-faire et de technologies, mais sont souvent limités par des obstacles comme les réglementations intérieures. Les données sont basées sur les Balances des Paiements (voir page échanges extérieurs).

Solde extérieur des services avec les pays de la zone Euro en milliards d’euros

Solde extérieur des services avec le monde entier en milliards d’euros

 

 

2/ Les autres services non financiers (hors commerce)

Les autres services non financiers marchands comprennent sept activités à l’exclusion du commerce (voir page Comptes des services) : transport et entreposage ; l’hébergement et les services de restauration ; les services d’information et de communication ; activités immobilières ; services professionnels, scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien ; réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques. En termes de valeur ajoutée, les services professionnelles, scientifiques et techniques, avec une part de 22,5 % du total représentaient la part plus importante de ces activités dans l’UE en 2019.

 

a) Quelques données sur la valeur ajoutée

En 2019, l’Allemagne détenait la part la plus élevée de la valeur ajoutée de l’UE pour six des sept sous-secteurs compris dans l’agrégat des autres services non financiers et était (pour chacun d’entre eux) suivie de la France. L’ordre de ces deux États membres de l’UE était inversé pour l’activité relativement petite de réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques : La France détenait la part la plus importante devant l’Allemagne, qui occupait la deuxième place. Pour la plupart des sept sous-secteurs, l’Italie ou l’Espagne avaient la troisième plus grande valeur ajoutée. L’exception était constituée par les activités immobilières où la part du Danemark était à la troisième place.

En termes d’emploi, l’Allemagne avait la part la plus élevée pour les six mêmes sous-secteurs. Pour quatre d’entre eux, la France enregistrait la deuxième part la plus élevée ; l’Espagne avait la deuxième part pour l’hébergement et les services de restauration ; L’Italie avait le deuxième part pour les activités immobilières. Comme pour la valeur ajoutée, la France avait la part la plus importante de la réparation et de l’entretien.

Concentration des autres activités de services non financiers – trois premiers États membres de l’UE.
(part en % de l’emploi et de la valeur ajoutée de l’UE pour chaque activité, 2019)

 

En valeur ajoutée, les plus grandes divisions (à un niveau plus détaillé de la nomenclature) des autres services non financiers de l’UE en 2019 étaient les suivantes : les activités immobilières ; la programmation informatique, conseil et activités connexes; transports terrestres et par conduites ; entreposage et activités de et activités de soutien aux transports; les activités juridiques et comptables ; et les services de restauration et boissons.

Le Danemark était hautement spécialisé dans les activités immobilières, représentant 26,0% de sa valeur ajoutée totale des services services non financiers dans cette activité. La Bulgarie et l’Irlande étaient les plus spécialisées dans la programmation informatique, le conseil et les activités connexes. L’État membre de l’UE de loin le plus spécialisé dans les transports terrestres et les transports par conduites était la Lituanie : 28,1 % de sa valeur ajoutée de celle des autres services non financiers en 2019 a été enregistrée dans ce sous-secteur; à titre de comparaison, la moyenne de l’UE était de 8,8 %.

Chypre et la Grèce étaient les plus spécialisés de l’UE dans l’entreposage et les activités de soutien aux transports, puisque ils représentaient plus de 12,0 % de la valeur ajoutée dans les services non financiers en 2019, soit environ le double de la moyenne de l’UE (6,4 %). L’État membre le plus spécialisé  dans les activités juridiques et comptables a également été Chypre, enregistrant 12,9 % de sa valeur ajoutée dans les services non financiers dans ce sous-secteur soit plus du double de la moyenne de l’UE (6,2 %). Il y avait moins de spécialisation dans les services de restauration-boissons : la part la plus élevée était de 10,6 % au Portugal, alors que la moyenne de l’UE était de 6,2 %.

Spécialisation en valeur ajoutée – cinq premiers États membres de l’UE (part dans la valeur ajoutée totale des autres services non financiers en 2019 en % )

Source : Eurostat

 

 

b) L’évolution de l’activité des autres services non financiers

L’indice du chiffre d’affaires illustre l’évolution des ventes en prix courants. Autrement dit, cet indice n’a pas été ajusté pour éliminer les effets des variations de prix. Entre 2005 et 2021, l’indice du chiffre d’affaires des autres services non financiers dans l’UE a augmenté globalement de 48 %, ce qui équivaut à une moyenne de 2,5 % par an. Entre 2005 et 2008, l’indice a augmenté de manière assez régulière.. Une baisse de 6,7 % a été observée en 2009, suivie d’une croissance relativement modérée entre 2010 et 2016; certains des taux annuels de croissance du chiffre annuels les plus élevés ont été enregistrés entre 2017 et 2019, avec des hausses comprises entre 4,0 et 6,3 %. En 2020, l’indice du chiffre d’affaires de l’UE pour les autres services non financiers a chuté de 12,4 %, reflétant l’impact de la pandémie de COVID-19, mais il a rebondi de 13,9 % l’année suivante.

En termes de chiffre d’affaires, l’activité des services non financiers qui a connu la plus forte croissance au sein de l’UE est celle des services d’information, les ventes étant 3,5 fois plus élevées en 2021 qu’en 2005, soit une augmentation annuelle moyenne de 8,1 %. Le chiffre d’affaires des programmations informatiques, du conseil et des activités connexes a aussi augmenté fortement : il était 2,6 fois plus élevé en 2021 qu’en 2005. Les activités liées à l’emploi ont plus que doublé leur chiffre d’affaires, tout comme les activités juridiques, comptables et de conseil en gestion tandis que le chiffre d’affaires des activités d’édition a presque doublé (+ 97 %).

Indice du chiffre d’affaires des services non financiers à forte croissance (2005 = 100, UE, 2005-2021)

Source : Eurostat

 

Pour les télécommunications et pour la production de films, de vidéos et de vidéo et de télévision, l’enregistrement sonore et l’édition musicale,  l’UE a enregistré en 2021 des niveaux de chiffre d’affaires qui étaient légèrement supérieurs à ceux enregistrés en 2005 (+ 1 % dans les deux cas) du fait notamment d’une forte baisse des prix dans les télécommunications.

Outre ces deux activités à faible croissance, trois activités de services non financiers de l’UE ont enregistré un chiffre d’affaires inférieur en 2021 qu’en 2005. Les services d’hébergement ont enregistré une croissance de 57,6 % entre 2005 et 2019, mais le chiffre d’affaires a chuté de 52 % en 2020  (reflétant l’impact de la pandémie de COVID-19) et a ensuite a augmenté de 28 % en 2021. Par conséquent, le chiffre d’affaires de cette activité en 2021 est inférieur de 3 % à celui de 2005. Des situations similaires  ont été observées pour le transport aérien et pour les agences de voyage et les tours-opérateurs : tous deux en croissance entre 2005 et 2019, ont connu des baisses supérieures à 50 % en 2020 et n’ont enregistré qu’une reprise partielle en 2021. Le chiffre d’affaires a été inférieur à son niveau de 2005 dans les deux activités, de 14 % pour le transport aérien et de 38 % pour les agences de voyages et les tours-opérateurs.

Indice du chiffre d’affaires des services non financiers à faible croissance (2005 = 100, UE, 2005-2021)

 

 

 

 

 

 

X – LA HAUSSE RELATIVE DE L’EMPLOI TERTIAIRE SERA-T-ELLE INVERSÉE ?

Cette hypothèse constituerait une très sérieuse remise en cause d’une théorie plutôt « productiviste » et « a-écologique »  défendue par tous les spécialistes de l’économie des services, depuis le milieu des années 1980 et jusqu’à une période très récente. On s’appuie ici sur les travaux de J. Gadrey [4].

La tendance historique observable (au moins à partir du 19è siècle) à la progression de la part des services dans l’emploi et la valeur ajoutée sera affectée, et peut-être inversée dans les pays développés, tout comme la tendance à la croissance économique et à celle de la productivité, telles qu’elles sont définies et mesurées aujourd’hui. Cette inversion historique possible, qui serait une révolution, peut être analysée, dans un premier temps, en se demandant ce qu’il adviendrait de la théorie économique qui fait aujourd’hui autorité pour expliquer la croissance de la part des services dans l’emploi si l’on y introduisait les externalités environnementales. Il faut probablement aller plus loin, et réviser les bases conceptuelles de ces raisonnements, à commencer par la notion de gains de productivité, très insuffisante dans sa définition actuelle pour une prospective de la durabilité écologique et de la place future des services dans l’emploi.

L’économie des services, telle qu’elle existe, devrait subir aussi une autre révolution en terme d’emploi, liée à l’intelligence artificielle. On a vu que la part de l’emploi tertiaire tend à ne plus progresser depuis 2015 .  Y-a-t-il une relation entre les deux ?

On présente ici deux théories qu’on n’a pu vérifier vu qu’elles anticipent des évolutions à venir : elles concernent les conséquences sur l’emploi tertiaire des préoccupations environnementales d’une part et des avancées importantes de l’intelligence artificielle d’autre part. Il  semble qu’il faut être assez prudent avec ces théories.

 

1/ Les prix relatifs des services ne sont pas condamnés à augmenter sans cesse si on internalise les externalités

 

a) Le modèle de Baumol

Il y a d’abord eu les approches classiques (depuis Clark, Fisher et Fourastié) de l’écart structurel des gains de productivité entre l’industrie (et l’agriculture « industrialisée ») et la majorité des services. Ces approches ont ensuite pris la forme, en 1965, d’une modélisation simple , sous le nom de « loi de Baumol ». Or cette loi devrait être revisitée parce que le principal concept sur lequel elle repose, celui de productivité du travail, est dans l’incapacité de tenir compte des externalités, notamment écologiques (voir page Compte Environnement). Or, ces dernières devront impérativement être internalisées pour gérer le principal enjeu du 21è siècle : la rareté croissante de ressources naturelles dans lesquelles la « société industrielle », puis la « société de services », ont puisé et rejeté en les considérant comme gratuites (exemple : les forêts comme « puits de carbone ») ou disponibles à faible coût (le pétrole, l’eau). Voici une démonstration non formalisée de la façon dont le modèle de Baumol est alors affecté.

Le modèle de Baumol repose sur trois hypothèses :

  1. les gains de productivité du travail sont en moyenne élevés dans la plupart des activités industrielles et agricoles (le « secteur progressif ») et faibles ou nuls dans les services ou en tout cas une bonne partie d’entre eux (le « secteur stagnant ») ;
  2. les salaires tendent à s’égaliser dans les deux types de secteurs. De ces deux hypothèses, il résulte que le prix relatif des services du secteur stagnant ne cesse de croître par rapport à celui des biens industriels et agricoles (premier graphique suivant).
  3. Une troisième hypothèse intervient alors, conforme à certaines observations empiriques : la demande relative de services ne faiblit pas, en volume, par rapport à celle de biens industriels ou agricoles, en dépit de la progression du prix relatif des services (voir page Consommation des ménages). On en déduit assez simplement que la part de l’emploi dans les services « à productivité stagnante » ne peut que croître, sans autre limite que celle de la validité des hypothèses (second graphique suivant).

Évolution de l’indice des prix aux États-Unis : les coûts médicaux et universitaires ont fortement augmenté, ceux des vêtements et des automobiles sont restés bas

 

Les États-Unis se caractérisent par une hausse des emplois dans le secteur des services, et une stagnation dans le secteur des biens

 

Le raisonnement doit être révisé dès ses deux première étapes si d’importantes externalités environnementales sont internalisées (via des taxes ou autres dispositifs politiques), car alors le coût unitaire des biens du secteur progressif va être majoré en fonction des « matières » et des rejets par unité de produit, indépendamment de l’évolution de la productivité du travail.

Si par exemple la productivité du travail continue à progresser rapidement dans l’industrie, la « valeur-travail » (coût de production en travail) contenue dans chaque unité de produit industriel va bien évoluer en proportion inverse des gains de productivité, mais la « valeur écologique » (coût environnemental désormais internalisé) de chaque unité restera identique. Tout se passe comme si l’on avait intégré dans la production une part fixe de « service stagnant », une sorte de « service de la nature », laquelle refuse obstinément de faire des gains de productivité dans son « travail » (par exemple absorber de plus en plus de CO2 par hectare de forêt…). Ainsi le premier résultat de Baumol doit être revu : le prix relatif des biens industriels par rapport à celui des services stagnants n’est plus condamné à tendre vers zéro. Bien au contraire, il tend asymptotiquement vers une limite non nulle, à cause du coût fixe unitaire écologique de la production industrielle.

Cette remise en cause du modèle serait sans objet si l’on pouvait supposer que, dans le secteur progressif (l’industrie), les coûts politiques (ou tarifs) des « services de la nature » par unité produite, au lieu d’être plus ou moins fixes tendaient eux aussi vers zéro (par rapport au coût des services stagnants). Cela pourrait se produire si, d’une part, les économies de matières, d’énergies et de rejets progressaient continûment, et si, d’autre part, le coût des services de la nature (par exemple le coût politiquement fixé de l’absorption d’une tonne de carbone) ne progressait pas, ou s’il progressait moins vite que les économies de ressources naturelles et de pression écologique par unité produite.

Or, la tendance des décennies futures sera certainement à la réalisation d’économies de ressources naturelles et de réduction des rejets par unité produite. En revanche, du fait de la rareté croissante et de la prévention des dommages, on assistera très probablement à l’augmentation progressive du prix relatif (ou « tarif ») des « services de la nature », qu’il s’agisse de ceux que les entreprises et les administrations paient déjà en achetant (sur des marchés régulés) de l’énergie (dont le pétrole), de l’eau, etc., ou de ceux, politiquement déterminés, et qui vont progresser aussi : taxes, contraintes publiques, marchés de permis d’émission, etc. Il semble donc très improbable que les coûts des services de la nature par unité produite dans l’industrie (ou l’agriculture) puissent connaître à l’avenir une décroissance continue.

 

 

b) Au delà des concepts de productivité et de croissance

Le raisonnement précédent reste insuffisant pour porter des conclusions sur l’avenir de l’emploi selon les secteurs. En effet, si par exemple les prix relatifs des biens agricoles refusent de baisser (voire augmentent) sous l’influence soit de taxes écologiques (eau, énergie, transports, biodiversité…) soit de l’insuffisance de l’offre (conflits d’usage des terres, désertification, etc.), ce n’est pas pour autant un facteur conduisant à une progression du poids de l’emploi agricole. Les taxes ne font pas en elles-mêmes progresser la valeur ajoutée hors taxes ni les volumes produits et demandés, décisifs pour l’emploi. Quant à la hausse des prix par insuffisance de l’offre par rapport à la demande, elle n’a pas non plus cette propriété de favoriser l’emploi si l’on reste dans une logique productiviste. Elle peut fort bien conduire à l’apparition de rentes agricoles (comparables à la rente pétrolière actuelle), sans effet positif sur l’emploi.

Mais de nombreuses transformations nécessaires de la production (de biens ou de services) s’accompagneront d’une réduction de la productivité du travail. D’éventuelles mesures alternatives ne sont pas à exclure, mais elles n’existent pas encore. Et bien que tous les secteurs soient concernés, l’agriculture, l’énergie, le bâtiment et une fraction de l’industrie seront aux premières lignes. Cela devrait renforcer la tendance à ce que leur poids dans l’emploi cesse de régresser, d’autant qu’une partie des besoins correspondants sont fondamentaux, de sorte que la demande restera forte. Ce poids devrait même progresser nettement dans certaines branches de la « production matérielle ».

Les produits durables, « propres » ou « verts » (biologiques, recyclables, de plus longue durée de vie, impliquant moins de transport et d’énergie, etc.) exigent plus de travail par unité produite que les produits pollués ou polluants issus des procédés productivistes. Ne plus surexploiter la nature et gérer ses « services » avec précaution est bon pour l’emploi (au moins dans certaines branches où la demande ne devrait pas faiblir) mais mauvais pour la productivité du travail « brute », celle qui n’enregistre pas les gains ou les pertes de qualité écologique des produits.

Au total, les services ne seraient plus les seuls grands « gisements d’emplois » du futur, même si certains d’entre eux conserveront cette qualité en réponse à des besoins sociaux de proximité faisant l’objet d’innovations de durabilité. Il faudrait, pour une prospective de l’emploi durable, cesser de raisonner par grands secteurs (primaire, secondaire, tertiaire) et s’intéresser à des niveaux assez fins de branches et de besoins, en tenant compte de la durabilité environnementale de la production et de la consommation, mais aussi des questions sociales que suscitera cette « grande transformation » vers une économie écologique.

 

 

 

2/ L’intelligence artificielle (IA) et les emplois du tertiaire

On distingue souvent 4 grandes révolutions industrielles :

  • Première révolution industrielle : développement des machines à vapeur fin XVIIIème siècle,
  • Production de masse à la chaîne début du XXème siècle,
  • L’électronique et informatique provoque une révolution industrielle au début des années 1970-80,
  • Numérisation de la chaîne de création de valeur à partir de 2010 avec le développement de l’intelligence artificielle (IA).

 

La 3 ème révolution démarre avec les années 1970 avec l’invention du microprocesseur (Intel 1971), de l’ordinateur de bureau (IBM 1975, Apple, 1977), des logiciels grand public , des imprimantes,des réseaux puis d »internet. Ces inventions vont progressivement se diffuser à l’ensemble de l’économie provoquant une rupture paradigmatique du processus de production. Avec l’automatisation de la production industrielle (robotisation), le nombre d’ouvriers diminue au profit des professions tertiaires. La sous-traitance se développe et les entreprises se spécialisent alors que les employés deviennent polyvalents. C’est aussi une révolution de l’information et de l’intermédiation, avec un essor considérable des télécommunications et de la finance (voir page Financiarisation). Dans le domaine social, elle s’accompagne souvent d’une hausse des inégalités.

La 4 ème révolution industrielle désigne le recours de plus en plus courant aux imprimantes 3D, découpe laser, machine-outil à commande numérique. Comme avec la révolution industrielle du xixe siècle, il y a une crainte de la perte d’emplois, remplacés par ces nouvelles machines-outils. Cependant, il n’est pas un fait reconnu pour la communauté des spécialistes que la quatrième révolution industrielle ait commencé vers 2010. On se situe plutôt dans une période où l’application de la troisième révolution industrielle est rendue possible avec des outils permettant de réaliser des applications, par exemple une fusion homme-machine, augmentation de la durée de vie ou encore l’amélioration du corps humain.

Cette révolution (également appelée industrie 4.0) consiste à intégrer dans les usines des objets technologiques et numériques afin d’optimiser l’activité de l’entreprise. Les modes de production sont donc plus intelligents puisque l’ensemble des objets, machines et opérateurs de la chaîne de valeur sont inter-connectés. Pour arriver à cela, l’industrie 4.0 repose sur 8 technologies. Grâce à toute cette connectivité, les entreprises arrivent à réduire les coûts de main-d’œuvre, la consommation d’énergie et augmentent l’efficacité des processus industriels. Aujourd’hui les usines ne produisent plus à la chaîne car le consommateur souhaite un produit unique et personnalisé qui correspond à ses besoins. L’industrie 4.0 arriverait à répondre à cette exigence par le biais d’une usine flexible et connectée grâce à une utilisation intensive des outils du numérique.

Pour l’Office européen des brevets (OEB), la 4ème révolution industrielle marque une étape radicale vers une économie entièrement guidée par les données. De manière très générale, elle désigne les technologies de l’information et de la communication. L’Internet des Objets (IoT), le big data, la 5G ou encore l’Intelligence Artificielle (IA) sont considérés comme des technologies de la 4ème révolution industrielle. La création en 1969 de l’Arpanet, l’ancêtre d’internet, ne compte donc pas dans la 4RI, mais dans la troisième révolution industrielle. Depuis 2010, l’innovation liée à la nouvelle révolution industrielle aurait bondi de 356%.

Cependant, il semble que même si certains parlent de quatrième révolution industrielle, il n’y ait pas vraiment de nouvelles sources d’énergie comme dans les deux premières (charbon, hydroélectricité, pétrole). De plus, la troisième révolution industrielle est aujourd’hui une période de questionnement et de recherche de solutions pour sortir d’une économie intensive en produits issus des énergies fossiles. Comment en finir durablement avec l’ère d’exploitation intensive du carbone? Ainsi, une question essentielle se pose dans cette période de transition énergétique (baisse concomitance de la production et de la consommation d’énergie) : est-ce que les outils technologiques, qui sont supposés en meilleure convergence, pourront permettre de proposer de nouvelles énergies, par exemple avec le développement de l’énergie verte, de la fusion nucléaire comme à ITER ( voir page Comptes de l’énergie).

Mais on s’est progressivement rendu compte que cette révolution aura des effets sur les services. Le secteur tertiaire verra-t-il beaucoup d’emplois administratifs détruits ? Tous les travaux intellectuels mais répétitifs peuvent-ils être remplacés par la robotisation des processus de travail ? Pour les banques notamment, l’impact de la révolution qui pointe ne sera-t-elle pas  de l’ampleur de ce que les médias ont connu avec la numérisation? Dans 10 ans, notre conseiller financier sera-t-il  un robot équipé d’une intelligence artificielle pour prendre les meilleures décisions? Ou bien comme pour les précédentes révolutions industrielles, une grande partie des emplois détruits seront remplacés par de nouveaux. –  Réparateurs de robots, expéditeur de drones,… . Et puis il devrait y avoir hausse de la main-d’oeuvre dans les domaines de la santé, de l’éducation et du social, soutenue par le vieillissement de la population et l’augmentation des cas sociaux, tels que les réfugiés.

 

 

a) Des débuts de l’IA (robots industriels) et les études d’impact sur l’emploi

Réfléchir ne serait plus un atout car le robot saurait aussi le faire et mieux. C’est donc le secteur tertiaire qui serait dorénavant touché alors qu’il représente plus de 80% des emplois. A défaut de révolution, certains experts parlent d’un deuxième âge de la machine. Mais ceci n’est que le début. Plus les progrès se développeront, plus nous assisterons à de nouvelles avancées comme c’est déjà le cas dans la BioTech (robot chirurgien), FinTech (robot banquier) ou LegalTech (robot juriste).

Concernant l’impact sur les emplois en termes de type de poste menacé, de nombre et de délais, force est de constater que ni les experts et ni les économistes n’ont jamais été d’accord sur les chiffres.

  • En 2013, deux chercheurs, C. B. Frey et M. Osborne, avaient fait sensation en estimant que « 47  % du total des emplois aux États-Unis » présentaient de grands risques de devenir automatisables, « peut-être à une échéance d’une décennie ou deux ». . En fait ils n’ont pas vraiment précisé si les emplois impactés représenteraient 47% de la l’emploi total ou bien si 47% des emplois seraient détruits ce qui n’est pas la même chose. Ce chiffre est devenu un emblème des enjeux – et des dangers – de ce que les experts appellent « Le deuxième âge de la machine » ou la « Quatrième révolution industrielle » (voir ci-dessus). À partir d’une étude de 700 métiers, ce haut risque de robotisation concernerait principalement les secteurs de l’administration, du transport, de la production et de la logistique.
  • Mais en 2016 l’OCDE publiait une étude avec un impact de 9% en moyenne au sein des 21 pays. « La menace générée par les avancées technologiques semble donc bien moindre » que celle estimée précédemment. Comment expliquer une telle différence ? Par la méthode employée : La première étude partait du principe que les professions dans leur ensemble, et non les tâches isolées, seraient automatisées. « Leur étude suppose que tous les emplois au sein d’une profession sont identiques, alors que ce n’est pas le cas ». En effet, deux travailleurs exerçant la même profession (qu’il s’agisse d’un journaliste, d’un mécanicien ou d’un conseiller juridique) ne réalisent pas les mêmes tâches. Et, dans la plupart des professions, ces tâches évoluent depuis longtemps. En s’appuyant sur les déclarations des travailleurs concernant les tâches qu’ils accomplissent,les chercheurs de l’OCDE arrivent à la conclusion qu’en moyenne, seulement 9  % des emplois présentent un risque élevé d’automatisation – c’est à dire ceux dont au moins 70 % des tâches sont automatisables.

 

L’étude de l’OCDE révèle cependant des disparités entre les emplois  : le risque d’automatisation atteint 40 % pour les travailleurs les moins instruits donc peu qualifiés (niveau inférieur au second cycle du secondaire, c’est à dire niveau troisième en France), il est inférieur à 5  % pour les diplômés de l’université. L’OCDE note également des disparités entre pays : à peine 6 % des emplois sont automatisables en Finlande, Estonie ou Corée, contre 12 % en Autriche, Allemagne et Espagne. Quant à la France, elle se situe dans la moyenne (9 %). En outre, on estimait que 1,5% seulement des emplois perdus en France pourraient être remplacés par des emplois dédiés (ingénieur, développeur, technicien). Aux USA, d’ici 2021, ce seraient 6% des postes qui seront supprimés.

Si elle écarte ouvertement le scénario d’un « chômage technologique massif » évoqué depuis plusieurs années, cette étude ne saurait être taxée d’optimisme. D’abord parce qu’à la seule échelle de la France, l’automatisation de 9 % des emplois signifierait quelque 2 millions de chômeurs supplémentaires. Ensuite parce que ce phénomène s’inscrit dans un contexte de polarisation du marché du travail, où le fossé se creuse entre « les travailleurs coincés dans des emplois peu qualifiés et mal rémunérés » et ceux bénéficiant d’emplois « assurant une rémunération et un bien-être suffisants. »Au-delà de la robotisation, l’OCDE met d’ailleurs en avant les bouleversements annoncés par l’essor des plates-formes de travail à la demande (Uber, TaskRabbit, Youpijob…), qui peuvent contribuer à aggraver la précarité.

 

 

b) Les tâches d’un emploi sont nombreuses

Comment expliquer alors de telles divergences ? En regardant de plus près on remarque que les études ne considèrent l’emploi que dans sa globalité, alors que celui-ci peut requérir une grande diversité de tâches. Ainsi, deux personnes qui ont un emploi avec le même intitulé font souvent des choses très différentes. Dès lors, il suffit que certaines tâches ne soient pas automatisables pour que la personne conserve un avantage sur le robot.

Même si un individu effectue beaucoup de tâches répétitives, il a besoin parfois d’interagir avec d’autres personnes, ce qui rend une automatisation totale de son poste difficile. Aussi, on peut observer que certains emplois qui semblent hautement automatisables, ne le sont en réalité pas, car souvent les personnes se spécialisent dans des tâches qui ne le sont pas. Il est donc difficile et compliqué de prédire combien et quels emplois seront détruits mais aussi créés. De plus, ce n’est pas parce qu’un emploi est automatisable qu’il sera automatisé. En effet, développer un robot et une intelligence artificielle spécifiquement pour un emploi ou une tâche est un processus long et coûteux. Si le robot n’est pas accepté par les employés ou les clients, s’il n’est pas rentable au sein de l’entreprise ou s’il se heurte à des freins culturels, alors le retour sur investissement sera négatif ou nul.

D’autre part, il est difficile de quantifier la destruction ou la création d’emplois. Certaines technologies peuvent être adoptées rapidement par l’entreprise et son organisation, qui entraine une réallocation des tâches ou la création de nouveaux emplois. De plus, les innovations de procédés favorisent plus les emplois de conception au détriment des emplois d’exécution.

Le robot assiste l’employé dans la plupart des cas. Par exemple dans une entreprise logistique dont le  système de rayonnage a été entièrement automatisé les commandes sont expédiés le jour même. Le nouveau système va de pair avec la croissance de l’entreprise. Les salariés ne disparaissent pas.. Le robot travaille pour le salarié.

Certaines études annoncent un gain de croissance de 1% de par l’automatisation qui pourrait correspondre à une création de 350 000 emplois en 7 ans. D’autres prédisent même que l’intelligence artificielle pourrait augmenter de 10% les effectifs en entreprise.  De plus, la délocalisation qui a été réalisée il y a quelques années dans les pays où la main d’œuvre était moins chère, pourrait être relocalisée en Occident, puisque le robot pourra produire encore moins cher (voir page chaînes de valeur mondiales).

De par la transformation digitale, les critères actuels ne semblent plus adaptés à l’analyse de cette nouvelle révolution. En effet, il ne faut pas penser en dualité mais plutôt en un tout. Une unité entre l’homme et le robot. L’addition des deux sera toujours plus performante que l’homme ou le robot seul. Si l’on reprend l’exemple des intelligences artificielles d’IBM ou de Google, on constate que celles-ci sont plus fortes que l’humain pour résoudre un cas particulier, le jeu d’échec ou le jeu de Go. Donc de répondre à une problématique particulière. Mais seul l’humain est capable d’assembler le tout pour synthétiser la quintessence d’une réponse. En d’autres termes, l’intelligence artificielle est plus forte que l’homme pour répondre aux questions mais elle ne sait pas choisir seule les questions les plus pertinentes.

 

 

c) L’arrivée de ChatGPT

Dernier en date, ChatGPT est élaboré à partir d’une IA; cet outil conversationnel est capable d’échanger et de suivre un véritable dialogue avec son interlocuteur sous forme de messages écrits. Doué pour répondre à des questions, il se révèle également être un outil rédactionnel puissant, cabale de générer du contenu écrit de qualité et cohérent à partir d’une simple consigne écrite appelé« prompt » (rédiger un C.V. ou un poème de Baudelaire). Chat GPT utilise l’apprentissage automatique pour comprendre les contextes et les intentions des utilisateurs et fournir des réponses précises et pertinentes en temps réel. ChatGPT peut également apprendre et s’adapter au fil du temps, ce qui lui permet de devenir de plus en plus précis dans ses réponses.

La technologie ChatGPT est utilisée dans de nombreux contextes différents, notamment pour améliorer les services de service client en ligne, automatiser certaines tâches de service client et offrir une assistance en temps réel 24h/24 et 7j/7. Elle peut également être utilisée dans d’autres domaines tels que l’enseignement en ligne, la recherche en intelligence artificielle et la création de contenu.ChatGPT a été développée pour aider les entreprises à améliorer leur service client en offrant une assistance rapide et personnalisée à leurs clients.

Une étude de mars 2023 (https://arxiv.org/pdf/2303.10130.pdf) menée par des chercheurs d’OpenAI, Open Research et de l’université de Pennsylvanie mesure l’influence potentielle de l’IA sur 1 000 professions aux États-Unis. Il en ressort que 8 travailleurs américains sur 10 des secteurs étudiés seraient affectés par ce nouveau modèle de langage, à des degrés toutefois très divers. Les scientifiques ont décidé de lister les tâches principales de chaque fonction pour voir lesquelles seraient les plus transformées par le recours à l’IA. D’après leurs calculs, 80% des métiers verraient au moins 10% de leurs tâches affectées par l’utilisation du chatbot. Pour 19% des professions, la technologie aura même un impact direct sur 50% de leurs activités.

A travers ce prisme, les professions les plus exposées à ce chamboulement du monde du travail sont :

  • Les interprètes et traducteurs
  • Les poètes, écrivains et paroliers
  • Les journalistes
  • Les sténographes en simultané et juridiques
  • Les spécialistes des relations publiques
  • Les mathématiciens
  • Les comptables
  • Les ingénieurs de la blockchain
  • Les concepteurs d’interface web et numériques
  • les métiers du droit, avocats, notaires, juristes,
  • les consultants
  • les enseignants (?),
  • les banquiers,
  • les routiers (?)

La substitution de l’IA à l’activité humaine est même déjà à l’œuvre dans certaines entreprises : de grands groupes de presse, à l’image de l’entreprise allemande Axel Springer, ont décidé d’attribuer certaines missions assurées par des journalistes à l’IA, notamment la rédaction de dépêches. « GPT-4 » a également le niveau requis chez un avocat, puisqu’une simulation de l’examen du barreau l’a classé parmi les 10% des meilleurs candidats.

Il reste qu’on aura toujours besoin de métiers des services en complément de l’IA et que de nouveau se pose la question de l’inégalité des personnes face au numérique ainsi que le dilemme entre qualité et efficacité des services. On l’a  vu dans cette page : l’efficacité des services s’est amélioré mais qu’en est-il de la qualité. ?

 

 

d) Quelques données sur le recours à l’IA en Europe

On s’appuie sur une étude d’Eurostat qui étudie l’IA dans toutes les entreprises y compris celles de l’industrie https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Digital_economy_and_society_statistics_-_enterprises#Artificial_intelligence_.28AI.29. En 2023, 8 % des entreprises de l’UE comptant plus de 10 salariés et travailleurs indépendants ont déclaré utiliser une ou plusieurs des technologies d’IA suivantes:

  • Technologies d’IA pour l’analyse du langage écrit,
  • Technologies de l’IA pour l’apprentissage automatique (par exemple l’apprentissage en profondeur),
  • Technologies de l’IA automatisant différents flux de travail ou aidant à la prise de décision,
  • Technologies de l’IA pour convertir le langage parlé en format lisible par machine,
  • Technologies d’IA pour l’identification d’objets ou de personnes à partir d’images,
  • Technologies de l’IA pour générer un langage écrit ou parlé,
  • Les technologies d’IA permettant le mouvement physique des machines via des décisions autonomes basées sur l’observation de l’environnement

La part des grandes entreprises utilisant ces technologies d’IA était de 30,4 % et était nettement supérieure à la valeur enregistrée pour les petites entreprises (6,4 %). La différence pourrait s’expliquer par la complexité de la mise en œuvre des technologies d’IA au sein de l’entreprise. Bien qu’à un faible niveau, les entreprises de l’UE ont utilisé la plupart des technologies d’IA en automatisant différents flux de travail (3 %), des technologies de l’IA pour l’analyse du langage écrit (2,9 %) et des technologies de l’IA pour l’apprentissage automatique (2,6 %). Encore une fois, la part des grandes entreprises qui ont déclaré utiliser ces types de technologies d’IA était 4 à 6 fois plus élevée (graphique suivant).

Entreprises utilisant des technologies d’IA, par type de technologie et classe de taille, UE, 2023, (% des entreprises)

 

Parmi les États membres de l’UE, les technologies d’IA ont été utilisées par plus de 15 % des entreprises au Danemark (15,2 %) et en Finlande (15,1 %). Les ratios sont élevés aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. L’adoption des technologies de l’IA était faible dans la majorité des autres États membres de l’UE, avec une part inférieure à 10 %. Les chiffres les plus bas ont été enregistrés en Hongrie et en Pologne (3,7 % chacune), en Bulgarie (3,6 %) et en Roumanie (1,5 %). En France le ratio était de 6%, soit moins que dans l’UE (8%).

Entreprises utilisant des technologies d’IA, 2023, (% des entreprises)

 

 

 

 

 

 

 

Michel Braibant


BIBLIOGRAPHIE

[1] C. Clark : « The conditions of economic progress », Mac Millan, Londres, 1951, voir aussi P. Hill, intangibles and services in
economic accounts,   https://cros-legacy.ec.europa.eu/content/intangibles-and-services-economic-accounts-t-peter-hill-0_en

[2] J. Fourastié : « Le grand espoir du XXe siècle », PUF, Paris, 1950.

[3] M. Braibant, Le tertiaire insaisissable ? : Économie et statistique, N° 146, juillet-août 1982. pp. 3-17. http://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/121005/1/estat_1982_146.pdf

[4] J. Gadrey : l’économie des services, éditions Repères la découverte, 1992. Voir aussi Socio-économie des services, éditions la découverte, 2003; voir aussi La crise écologique exige une révolution de l’économie des services, https://journals.openedition.org/developpementdurable/17472#tocto1n5.

[5] « Les ressorts de l’économie des services : dynamique propre et externalisation », Insee Première n° 1163, novembre 2007. https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/90/1/ip1163.pdf

[6] Les services marchands en 2018 : Les services marchands échappent au ralentissement de l’activité en 2018, V. Andrieux, Z. Bouziani,  S. Heck, A. Nay, E. Rakedjian, P. Varrambier, Insee Première, juillet 2019, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4183936

[7] La tertiarisation de l’économie française et le ralentissement de la productivité entre 1978 et 2008, A. Schreiber A. Vicard Insee, 2011 ,  https://www.insee.fr/fr/statistiques/1373853?sommaire=1373855, voir aussi https://www.insee.fr/fr/statistiques/4180914; La productivité en France de 2000 à 2015 : poursuite du ralentissement et hausse modérée de la dispersion entre entreprises, B. Khder, R. Monin, l’économie française, juin 2019.

[8] https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/health, voir aussi https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Healthcare_resource_statistics_-_beds#Hospital_beds voir aussi https://www.education.gouv.fr/EuropeEducation2022 , voir aussi https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Employment_rates_of_recent_graduates

[9] Les entreprises françaises au défi de la transformation servicielle de l’économie , https://www.cci-paris-idf.fr/sites/default/files/2021-05/Etude-%C3%A9conomie-servicielle.pdf

[10] https://ceet.cnam.fr/publications/connaissance-de-l-emploi/les-nouveaux-emplois-des-ouvrieres-et-des-ouvriers-des-o-s-du-tertiaire–1207928.kjsp, voir aussi les fonctions de service dans l’industrie manufacturière : la moitié des emplois directs, N. Ceci-Renaud , Insee Références, édition 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2497074?sommaire=2497179

Tableau entrées-sorties mondial (T.E.S.)